«Le dégel» à exporter
Du 30 janvier au 1er février au Kremlin-Bicêtre dans la banlieue parisienne aura lieu le festival de la culture russe «RussenKo». Exprès pour ce festival, le Multimedia Art Museum de Moscou (MAMM) a préparé l'exposition «Le Dégel, Russie 1954—1964», ouverte au public du 9 janvier au 1er février dans le bâtiment du théâtre ECAM (Espace Culturel André Malraux).
«L'Observateur russe» a réussi à rencontrer un collaborateur du MAMM, critique d'art et spécialiste en histoire de la photographie, Igor Volkov, qui était venu pour l'inauguration de l'exposition au Kremlin-Bicêtre. Nous lui avons posé des questions sur l'exposition en cours:
L'Observateur russe: Je vais commencer par une question un peu provocatrice. Aujourd'hui en Russie se profile une claire tendance à «resserrer les boulons» et parfois on compare la situation actuelle sur l'arène politique internationale à la période de la «guerre froide». En même temps, la presse française, d'après l'opinion générale, force parfois trop la note en diabolisant l'image de la Russie contemporaine. Est-ce que l'exposition «Le Dégel» cache, dans ce sens-là, un sous-entendu politique?
Igor Volkov: Je pense qu’ici il n'y a pas de politique. L'art photographique de la période du «dégel» est moins étudié et moins connu à l'étranger que, par exemple, la photographie soviétique de la période de la guerre et d'après-guerre. C'est pourquoi on a le désir de le présenter à un large public. De plus, ce sont proprement la complexité et l'ambiguïté des travaux de cette période qui, à mon avis, suscitent un intérêt particulier.
Le Multimedia Art Museum de Moscou vient de lancer un grand projet consacré à l'histoire de la Russie au XXe siècle en photos. Au total on est supposés éditer quatre volumes, le troisième vient tout juste de sortir : il embrasse la période entre 1941 et 1964, c'est-à-dire du début de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à la fin du «dégel». Grâce à ce projet nous avons mieux étudié nos propres archives, précisé certaines attributions et obtenu une plus profonde et complète compréhension des particularités de la photographie de cette époque.
Ainsi, quand l'on a proposé à Olga Sviblova (directice du Multimedia Art Museum de Moscou) de participer au festival «RussenKo», le thème du «dégel» est surgi, pas par hasard à mon avis, car l'on disposait déjà du matériel bien étudié et très intéressant.
Pourtant, pendant la préparation de l'exposition nous avons abandonné l'idée de montrer certains événements absolument historiques et nous nous sommes concentrés sur certains auteurs, qui seront présentés à l'exposition, et sur leur vision. La qualité artistique de la photographie nous intéressait beaucoup plus que son caractère documentaire. Or, il est vrai que l’on ne peut pas se passer totalement des points de repère historiques de l'époque, bien évidemment. Il y aura des portraits de Gagarine, ou par exemple une photo un peu surréaliste consacrée au choix de l'endroit d'installation de la statue de Maïakovski. Sur cette photo on voit trois silhouettes noires en contre-plaquée de Maïakovski, positionnées en trois parties différentes de la place homonyme. Il faut avouer que l'on ne comprend pas tout de suite ce qui se passe sur cette photo, mais elle est, bien sur, très esthétique. Ou encore, il y aura une photo de Khrouchtchev en tribune, prise par Vsevolod Tarassevich. Dans notre musée, d'ailleurs, nous avons les archives complètes de ce maître. On l'appelle le Cartier-Bresson russe à cause du lyrisme de ses clichés.
O.R.: En quoi le style de la photographie de la période du «dégel» se différencie-t-il de la photographie des périodes précédentes?
I.V.: Jusqu'au début du «dégel» la photographie était très proche de la peinture du réalisme socialiste: des compositions claires, correctement alignées, faciles à lire, qui ne toléraient aucune ambiguïté. L'on voit encore des résidus de ce style dans les travaux de la deuxième moitié des années '50, en quelque sorte un hommage à l'époque passée. Mais les travaux avaient déjà, en majorité, acquis un caractère intimiste, les compositions étaient devenues plus compliquées et, grâce à leur ambiguïté, leur interprétation aussi. Par ailleurs, le même processus peut également être observé dans la photographie européenne de cette période, donc ce n'est pas seulement une question de politique tout court. De plus, dans la période du «dégel» l'on commence à utiliser régulièrement la photographie en couleur, même si une grande partie des clichés reste encore en noir et blanc. La production de photographies en couleur était plus chère et beaucoup plus compliquée, en plus dans la photographie en noir et blanc il y a quand même une certaine dose de convention artistique.
O.R.: Sur quel principe l'exposition actuelle est-elle organisée?
I.V.: En premier lieu, deux mouvements artistiques, auxquels j'ai déjà fait référence, seront représentés: il y aura des travaux encore liés au réalisme socialiste et aussi des œuvres nouvelles dans leur esprit, plus lyriques, humaines. Pourtant, nous n'avons pas tracé de séparation nette entre les deux, nous avons trouvé qu'il était intéressant de les exposer les uns à côté des autres, pêle-mêle. Nous n'avons pas respecté non plus une chronologie précise. La période du «dégel» est assez courte, 10 ans au total, de 1954 à 1964. Pourtant, nous avons décidé de diviser les photos par thèmes, en démarquant de manière conventionnelle les sphères de la vie humaine. Il y a de l'"officiel": la politique, les parades, les compétitions sportives. Il y a aussi des clichés plus intimes, consacrés à l'enfance, aux études, au travail, à la science, au temps libre.
Je tiens à souligner que tous les auteurs choisis travaillaient à l'époque pour des publications périodiques officielles du régime soviétique, donc ils représentent en quelque sorte le visage de leur époque. Chacun avait son style particulier, sa spécialisation. Dmitry Baltermants, par exemple, avait du goût pour les compositions voyantes, comme dans les affiches. Lev Borodulin se consacrait surtout aux reportages sportifs, sous l'influence de l'avant-garde photographique des années '20. Les travaux de Tarassevich, comme je l’ai déjà dit, se distinguent par leur lyrisme, leur proximité à l'humain. Viktor Akhlomov (qui est d'ailleurs toujours vivant) prenait des photos pour « Izvestia » (« Les Nouvelles ») et ses travaux se démarquent par la variété et la singularité des angles de prise de vue. Pendant les cérémonies officielles ou les événements importants, chaque photographe recevait un emplacement spécifique, qu'il n'avait pas le droit de quitter, tandis que Akhlomov avait le droit exclusif de bouger pendant les manifestations importantes, ce qui lui permettait de varier de manière considérable les angles de prise de vue de ses clichés.
Il y avait, bien sur, à cette époque-là des photographes-amateurs et justement il y eut un renouveau des clubs photo. Là-bas, évidemment, les gens s'intéressaient à un type de photographie tout à fait différent et, souvent, ils n'avaient pas la possibilité de photographier ce que photographiaient les professionnels...
L'exposition «Le Dégel, Russie 1954—1964» aura lieu dans le bâtiment ECAM à l'adresse 2, Place Victor Hugo, Kremlin-Bicêtre
Du 9 au 29 janvier de 14h à 19h, du 30 janvier au 1er février de 10h à 19h. Entrée libre
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