De l’illégal… Vers la reconnaissance
Montrez-moi au moins un enfant qui n’aimerait pas dessiner sur les murs. Chacun d’entre nous se rappelle sans doute combien dessiner à la craie sur les palissades nous faisait plaisir, et le fait de savoir que nous risquions d’être punis par des adultes sévères ne faisait que nous exciter. Cela passe avec l’âge. Mais pas chez tout le monde.
Certains continuent « d’immortaliser » leur nom et de laisser des inscriptions telles que « Ici se trouvait Fedia » sur les monuments historiques. Il existe une autre catégorie de personnes, qui veut aussi laisser sa trace, s’enregistrer de manière originale sur les murs visibles par beaucoup de paires d’yeux. Ce sont les graffitistes.
La personne qui laissait un graffiti–inscription ou un dessin sur les rochers ou dans les grottes, déjà à l’ère préhistorique, peignait les murs des monuments antiques. Le mouvement moderne des graffitistes a commencé dans le métro de New-York, dans les années 1970.
10 ans après, à Paris, au malheur des travailleurs du métro, les graffitistes sont apparus, et ils peignaient les trains et les tunnels la nuit, avec d’immenses lettres arrondies. La « mode » du graffiti et du tag s’est répandue dans toute la France. Avec elle ont été établies de nouvelles lois contre le vandalisme et la détérioration des biens publics et privés. Les graffitistes pris « en flagrant délit » sont sévèrement punis, doivent payer une amende entre 1000 et 100 000 euros, et peuvent parfois être emprisonnés de quelques mois jusqu’à 2-4 ans.
Mais le plus surprenant c’est que ces graffitistes, « graffitistes au pochoir » ou, comme on les appelle encore, peintres à l’aérosol qui étaient punis dans les années 1980 pour activité illégale, exposent aujourd’hui leurs travaux dans des galeries, participent à des expositions du nouveau genre –le street art. Les municipalités et certaines écoles les invitent à décorer leurs immenses murs.
Loin de cet univers de graffeurs qui effraie beaucoup de monde j’ai toujours été intriguée par eux et je me suis demandée d’où venaient ces lettres incompréhensibles, ces signes, ces dessins, ces mosaïques en hauteur sur les murs de Paris.?
Qui se risque à dévaler le métro la nuit, et à remplir les tunnels en compagnie des immenses rats ? Y-a-t-il un sens à ces inscriptions ou est-ce seulement des gribouillages de grands gamins ? Le plus souvent les gens s’indignent concernant les graffiti. Mais il y a des opinions quant au fait que les graffiti américains, nés dans les régions pauvres, portaient une protestation sociale et politique. En France, il y a aussi des graffitistes qui ont un but bien précis, des idées définies. Ainsi certains mènent une lutte contre le consumérisme. Dans le métro, de temps en temps apparaissaient sur les grandes affiches des tags et des inscriptions, en protestation contre la publicité. Qui se tient derrière ces étranges lettres tracées, dansantes, comme moqueuses : des voyous, des Robin des bois, ou des artistes ?
Tout à fait par hasard, j’ai réussi à jeter un coup d’œil de l’autre côté du rideau du mouvement de rue. L’artiste de rue avec lequel j’ai fait connaissance il y a peu, selon les règles du genre, demande à ce qu’on ne le photographie pas et qu’on l’appelle par le pseudonyme qu’il a choisi : Diamantaire (en russe, un artisan de diamants). Peut-être avez-vous déjà vu ses créations sur les murs de Paris : des symboles en forme de diamant, découpés dans des miroirs peints. Le peintre trouve dans la rue le matériel pour ses travaux, ramasse des miroirs jetés, devenus inutiles aux gens, les apporte dans son atelier, les découpe avec des outils, fait le le pochoir et peint. Aucun « diamant » n’en répète un autre. Ayant créé la quantité nécessaire de diamants, 20 pièces, il les pose dans son sac, prend l’escalier pliable et va en ville pour le collage. « C’est mon don à la ville » dit Diamantaire. Il restitue à la rue ce qu’il y a trouvé : des miroirs transformés en « bijoux » originaux. « L’artiste de rue décore la ville » assure-t-il. « Une ville aux murs blancs, c’est un espace impersonnel, une ville sans âme ». Il ne se considère pas peintre, il préfère s’appeler le « décorateur » de la ville.
Diamantaire a 25 ans, il est arrivé d’une petite ville de Normandie à Paris en 2007, pour obtenir un BTS Communication visuel. Avant cela il avait déjà pu travailler puisqu’il avait avait fini lycée technique et travaillé comme spécialiste en fabrication et en installation de charpentes métalliques. Il s’occupait des soudures des portes, des ponts, dans les carrières, du traitement des matériaux recyclés. Le travail physique lui plaisait toujours, la possibilité de créer quelque chose de ses propres mains, mais la monotonie du travail ne l’arrangeait pas. Il rêvait de créer quelque chose de nouveau, d’original. Dès 13 ans il se passionnait pour les graffiti, étudiait les différents styles, les bases du tracé des lettres, élaborées par les pionniers du graffiti. Mais faire la même chose que les autres ne l’intéressait pas. Il cherchait son écriture, mais décida qu’il n’avait pas le talent d’un peintre. Il commença à s’essayer la technique du pochoir. On commença à l’inviter à participer à des expositions d’art contemporain dans sa ville natale. Mais il ne se sentait toujours pas satisfait, c’est pourquoi il partit à Paris étudier l’art graphique. Ayant obtenu son diplôme, il pouvait mener une vie tranquille, en travaillant dans le bureau de quelqu’un, en recevant des commandes et un salaire mensuel. Mais il n’en fut rien.
« Paris, c’est la capitale mondiale du street art ! -s’exclame Diamantaire, et ses yeux s’embrasent. Je n’ai encore jamais été à Berlin ou à Londres, mais Paris, selon moi, c’est le paradis pour les artistes de rue. Les artistes de toute la France rêvent de laisser leur « signature » sur les murs de Paris ! Certains viennent ici spécialement pour cela.
-Et dans d’autres villes on ne peut pas faire ça ? — je m’étonne.
-Non ! En province c’est une toute autre mentalité » raconte Diamantaire et il commence à parler de ses amis-compatriotes de Normandie, dont les travaux n’étaient pas compris. Tandis que mon interlocuteur parle de lui et de ses amis, je sens qu’il tâche de séparer les graffiti du street art et de marquer la limite entre le temps quand il était graffitiste et quand il est devenu artiste de rue. Et je lui dis :
Tu sais, je ne peux pas comprendre où se trouve la limite entre graffiti et street art.
-Le graffiti, malheureusement, reçoit une appréciation négative de la société, m’explique avec sérieux Diamantaire. Peu comprennent, ou veulent comprendre ce que c’est. Lorsqu’au départ, les graffitistes ont commencé à taguer dans le métro, les gens ont perçu cela comme l’explosion d’une bombe. On a alors commencé à attraper les graffitistes, à les punir. Vous vous imaginez, dans le fond, ces gamins qui n’ont pas plus de 20 ans et qui doivent payer une amende 50 mille euros ! Cela en a refroidi beaucoup rapidement. Les rangs de graffeurs se sont éclaircis, et parmi eux ceux qui n’ont pas renoncé ce sont mis à chercher leur propre style. Pour beaucoup, il était devenu inintéressant de faire des gribouillages à la suite, n’importe où et n’importe comment. Petit à petit, on a commencé à reconnaître les peintres originaux par leur écriture, leur style, des groupes entiers se sont formés travaillant dans un seul style. Leurs travaux ont commencé à être vendus dans des galeries, sont apparues les « stars » du street art…
-Et on t’a aussi attrapé ? Je l’interromps soudain, ce à quoi il me répond à contrecœur :
-Oui… Mais c’était pour des graffiti, pas pour des « diamants ». S’ils me prennent en flagrant délit pour un « diamant », je le décollerai simplement de sa place, avec toutes mes affaires. A propos, c’est à cause de cela que j’ai délaissé les graffiti, et que j’ai commencé à chercher un simple « logo », mon signe personnel. Une fois dans la rue j’ai trouvé un bout de miroir, je l’ai apporté à la maison, j’ai acheté des outils pour les rognures, et j’ai découpé le premier qui m’est venu à l’esprit : le signe du diamant. C’est venu de là. Ce signe est clair pour n’importe quelle personne, peu importe d’où elle vient et la langue qu’elle parle. Mon premier « diamant », je l’ai collé sur le mur de la place Igor Stravinsky, à côté de Beaubourg, et deux semaines plus tard un célèbre artiste de rue, Jeff-Aérosol, a peint une immense fresque « Chut ! » sur ce mur, mais il n’a pas touché à mon diamant, ne l’a pas peint, et l’a inséré dans sa fresque. J’ai été très touché et très reconnaissant à son égard, j’ai perçu cela comme des recommandations.
-Et combien de « diamants » as-tu encore collé en trois ans d’activité ?
-Plus de 1100 « diamants », 800 ou 900 d’entre eux se trouvent à Paris, les trois quarts de mes miroirs ont été volés…
-Mais peut-être les a-t-on simplement retirés?[/lang_fr]
-Non, non, le personnel de la mairie a retiré peut-être un ou deux diamants. C’est amusant, déjà quand ils peignaient les murs, ils laissaient mes « diamants », ils ne les peignaient pas. Mais je sais bien qu’il y a des gens qui viennent exprès avec un marteau et un burin et ils cassent le mur tout autour pour enlever le diamant. C’est stupide, égoïste puisque je les offreà tout le monde. C’est pour cela qu’il faut les coller très haut, bien que je préfèrerais que mes « diamants » soient au niveau du regard humain, projettent les reflets du soleil, jouent avec la lumière du soleil et fassent des clins d’œil aux passants…
-Tu ne trouves pas étrange qu’en collant tes « diamants » sur les murs de la ville, tu mènes une activité illégale mais grâce à cela tu es devenu connu. On t’invite à participer à des expositions de street art, tu as déjà fait une exposition en solo dans une galerie d’art parisienne, on t’a invité à New-York, à Los Angeles. Aujourd’hui tu négocies avec des galeristes canadiens…
-Oui, c’est c’est complètement fou! : tu fais tes créations clandestinement, puis ils te reconnaissent et commencent même à te donner de l’argent pour ces mêmes créations ! Le street art devient plus populaire de jour en jour, et les autorités municipales se mettent à le prendre en considération et ferment même les yeux sur les graffiti. En effet cela donne du charme au visage de la ville, attire les touristes du monde entier. Il existe des tours spéciaux sur les lieux des artistes de rue… Et le plus ridicule, plus tu crées dans la rue, plus il y a de gens qui le voient, plus il y a de publicité et d’agiotage autour de toi. Je ne vais pas de moi-même dans les galeries, ceux qui me trouvent intéressant savent où me trouver, et me proposent de travailler avec eux…
Diamantaire arrange pour moi une excursion dans le centre de Paris, dans le quartier du Marais, où l’on peut admirer ses « diamants » et les travaux de ses amis. Il les appelle par leurs pseudonymes : Oré, Combo, Bastek, Milo, Popeye… Il m’explique que pour taguer, on passe une ou deux minutes sur une signature sophistiquée, et pour un véritable graffiti -quelques heures.
En faisant des efforts pour lire et pour comprendre ce que signifiait le tag noueux en face de moi, je n’en pouvais plus et je demandais : « Que voulait-il dire avec cela ? ». Mon guide, en haussant les épaules, répondit : « Il voulait montrer qu’il avait été ici, dire qu’il existait. En laissant nos signatures, nos logos, nos dessins sur les murs, nous voulons montrer que nous sommes ici, que nous ressentons, que nous vivons sur cette terre… » Diamantaire cesse soudain, puis ajoute : « Vous savez, les graffiti ont sauvé beaucoup d’entre nous, nous ont ouvert un chemin dans le monde. Mes parents n’étaient pas proches de l’art. Grâce aux graffiti, je me suis ouvert à la musique, au pop art, on peut dire que je me suis trouvé… ».
En disant adieu à mon interlocuteur, je me suis promenée dans des rues familières, et soudain je me suis mise à remarquer ce que je n’avais jamais vu avant : de-ci-de-là sur les murs, des dessins, des mosaïques et des « diamants » me regardaient, et il me semblait que ces gamins et gamines espiègles me faisaient des clins d’œil et me chuchotaient : « Chut ! Je suis ici ! J’existe… »
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Эту очень интересную заметку можно добавить парой- тройкой
— В Париже живет и расписывает стены талантливый графиттист Popoff (сын, кстати, Александра Гинзбурга).
— 2 июня прошлого года художник и скульптор Михаил Шемякин дал мастер-класс для молодых петербургских граффитистов в поддержку инициативы создания памятника «Инакомыслию», посвященного андеграунду 60-80 годов.в рамках выставки «Тротуары Парижа» .
С днем рожденья, Миша!
Браво, Огульбиби! Настоящая журналистка — смогла найти интересную тему, которая, вроде бы, у всех перед глазами, и так интересно обо всем рассказала... Молодец!
Гуля молодец!
всегда, когда бываю в Париже, обращаю внимание на творения graffity и сравниваю с нашими, алматинскими. У нас тоже расписана дорога на Кок-Тюбе и до Чимбулака. Что-то есть общее)))
Félicitations, belle découverte, on aimerait plus de photographies.
Спасибо за статью, тема затронута актуальная для многих больших городов. Приятно, что и современные журналисты выходят \"на передовую\". Граффити и арт-стрит — это все-таки это искусство или нет?