De toutes les spécialités culinaires traditionnelles des fêtes de fin d’année, les marrons glacés sont sans doute la plus spécifique à la France. Ce fruit, au départ simple et grossier, se transforme, entre les mains des artisans, en une gourmandise raffinée et riche qui trouve sa place sur les plus belles tables.

Beaucoup, sans doute, se sont posé la question de savoir quelle était la différence entre « marron » et « châtaigne », désignés en russe par un seul mot, « Kachtane » (Каштан). Et aussi, pourquoi on en mange en France et pas en Russie ? Il se trouve que les châtaigniers, dont il existe un grand nombre de variétés, portent et marrons et châtaignes, qui ne se différencient que par la taille et la forme. On appelle marron, le fruit d’un seul tenant, et châtaigne celui qui est divisé en trois ou même quatre amandes dans une seule bogue. Le marron est plus rond et souvent plus gros. Les deux sont comestibles.

Mais en règle générale, les villes sont plantées de marronniers d’Inde, dont les fruits ne sont pas comestibles. C’est justement cette espèce qui est la plus répandue en Russie. Elle a aussi ses avantages. Le marronnier d’Inde est utilisé par l’industrie pharmaceutique pour traiter les maladies cardiovasculaires. Cependant, même avec la châtaigne comestible, tout n’est pas si simple.

Les châtaigniers poussent le mieux dans les zones montagneuses à 500-800 mètres au-dessus du niveau de la mer, dans un climat tempéré. Pour que les fruits soient comestibles, il faut planter les châtaigniers, les greffer, c’est un arbre qui nécessite des soins. Il lui faut vingt ans pour atteindre sa pleine maturité. On le cultive en France depuis le moyen-âge. Au XIXe siècle, les forêts de châtaigniers couvraient une grande partie du territoire. Mais l’exode rural et les maladies ont fortement réduit l’étendue de ces châtaigneraies au début du XXe siècle.

Aujourd’hui, la France occupe seulement la cinquième place en termes de production de châtaignes.

Pendant des siècles, on a considéré que c’était la nourriture des pauvres. Les châtaignes ont aidé de nombreuses générations à supporter les temps de famines. On les séchait et on en faisait des réserves pour l’hiver. On les utilisait cuits au four ou à l’eau, en purée ou en confiture, ou encore sous forme de farine pour faire de la bouillie. Cet arbre était l’objet d’une telle dévotion qu’on l’appelait « arbre à pain ». Il accompagnait les gens pendant toute leur vie. Avec son bois on faisait des berceaux, des poutres, des meubles, de la vaisselle et des cercueils.

Aujourd’hui, on consomme surtout les châtaignes grillées, réduites en crème, comme ingrédient de farce pour la dinde de Noël et, bien sûr, en marrons glacés.

C’est justement de ces derniers dont il va être question ici.

La préparation de cette merveilleuse sucrerie est très complexe. On sait qu’à Lyon, on parle de marrons en sucre dès le XVIe siècle. On évoque ensuite les marrons glacés comme une gourmandise raffinée à la cour de Louis XIV. Au XVIIIe siècle, ils deviennent indissociables des fêtes de Noël, mais ne sont accessibles qu’aux gens aisés. Ce n’est qu’en 1882 qu’on invente un moyen de produire les marrons glacés de façon industrielle, les rendant ainsi plus accessibles et populaires. Cependant, la chaîne de production des marrons comprend encore une grande part de manipulations manuelles et l’on apprécie très particulièrement les marrons préparés artisanalement, selon les bonnes vieilles traditions, par des confiseurs comme « Boissier », bien connu des parisiens, qui est une maison fondée en 1827 par le confiseur Bélisaire Boissier.

Pour faire des marrons glacés, il faut choisir les marrons les plus grands, les plus beaux et les plus durs possibles, et sans aucun défaut. Ceux-là coûtent cinq fois plus cher que les châtaignes de qualité moyenne.

Une fois extraits de leur bogue, on les fait tremper dans l’eau pendant neuf jours.

Si un marron présente le moindre défaut, il remonte à la surface, on l’élimine alors. Ensuite, on les dépose dans une cave où ils sont retournés régulièrement avec une spatule en bois. Après les avoir épluchés, il reste sur l’amande une fine pellicule qu’on ne peut enlever qu’au couteau. C’est une procédure extrêmement laborieuse. En une heure, une personne peut en traiter 6 à 7 kg tout au plus. Une fois dépourvus de leur pelure, les marrons deviennent très fragiles. Avant de procéder à la phase chaude de l’opération, on les attache deux par deux dans un morceau de gaze et on les introduit dans des cylindres grillagés en acier inoxydable de façon à ce qu’ils soient bien serrés. On installe ensuite tous les cylindres dans un autoclave et l’on fait cuire à une température de près de 100 degrés. Seul un maître-artisan connaît le temps de cuisson nécessaire, en fonction de la taille, de la densité et de l’origine des marrons. Il ne faut pas se tromper d’une minute, autrement les marrons s’effritent, se cassent et ne sont plus présentables.

Ils cuisent ensuite pendant 7 jours dans un sirop à faible teneur en sucre avec de la vanille et, en absorbant le sucre, se transforment peu à peu en marrons confits.

L’étape suivante, le glaçage, est une opération très délicate dont va dépendre l’aspect du produit fini. Bélisaire Boissier a été à l’origine d’une révolution en son genre, en inventant une nouvelle procédure de glaçage. Elle consiste à recouvrir le marron de plusieurs couches de sucre à plusieurs intervalles de temps, et de le mettre ensuite au four pour former une écorce brillante et translucide qui ne doit être ni collante, ni cassante.

Les lecteurs comprendront maintenant pourquoi les marrons glacés se vendent chez les confiseurs à deux euros pièce. Mais quel plaisir que de croquer dans un marron devenu doux comme le miel et penser en même temps à toutes les bonnes choses qui nous attendent l’an prochain !