L’illusion du goût de la cigarette
Ma première cigarette fût une « Vogue » mentholée. Je me souviens très bien de la sensation. Avec des amies d’école, nous nous étions cachées derrière un vieux bâtiment à demi détruit et avions décidé de fumer notre première cigarette. J’avais allumé, non sans difficulté, cette mince cigarette blanche et en avais aspiré une bouffée. Cela n’avait pas vraiment un goût de cigarette: comme un chewing-gum à la menthe qui aurait contenu de la fumée. Mais j’ai réalisé que je faisais quelque chose de mal et je n’ai plus touché à la cigarette, du moins jusqu’à ma première année d’études. A l’institut où j’étudiais, en un mois, je me suis éprise des « Captain Black », des cigarettes fortes aromatisées à la cerise. Ce qui comptait le plus pour moi, ce n’était pas la cigarette en elle-même, mais plutôt l’arôme à la cerise, que je voulais goûter encore et encore. Mais après un mois, je me suis dit que je ne voulais pas devenir dépendante de ces cinq minutes de bonheur que me procurait la cigarette puis attendre péniblement la suivante.
Je comprends pourquoi les étudiants et les écoliers aiment autant les cigarettes aromatisées. Cela leur rappelle les bonbons, les chewing-gums et autres douceurs ! Les seules différences sont le goût âpre de la fumée et le fait qu’elles ne font pas grossir. Le « cancer du poumon » et les autres diagnostics redoutables semblaient si lointains et réservés aux vieux. Le penchant des jeunes pour les cigarettes aromatisées est devenu un sujet essentiel puisqu’en 2016, l’Union Européenne va interdire la vente de cigarettes aromatisées à la vanille et aux fruits, et en 2020, les cigarettes mentholées. « Notre but est d’empêcher l’industrie du tabac de recruter de nouveaux fumeurs parmi les jeunes », a déclaré Linda McAvan, députée britannique du Parlement Européen.
Elle a également communiqué des statistiques affligeantes : 29% des hommes et des femmes en Europe fument. Selon les données du Parlement Européen, 94% des futurs consommateurs commencent à fumer avant 25 ans. Et le nombre de fumeurs âgés de 15 ans, qui fument au moins une fois par semaine, est estimé à environ 19%. L’Europe est la zone où il y a le plus de fumeurs dans le monde, loin devant l’Amérique, l’Asie et l’Australie. En France, par exemple, il y a 16 millions de fumeurs (pour 66 millions d’habitants). Et la moitié des jeunes entre 18 et 34 ans fume même de temps en temps. Les prix des cigarettes augmentent constamment, mais cela n’arrête pas les fumeurs. A présent, les Européens s’adaptent : ils achètent des feuilles et roulent eux-mêmes leurs cigarettes. Cela leur coûte moins cher.
Pourquoi, en Europe, les cigarettes sont-elles si populaires ? La propagation a débuté après la guerre de Crimée. Ceci s’explique car les soldats voulaient fumer vite, et non prendre leur temps à fumer la pipe, puisqu’ils craignaient constamment qu’une attaque soit lancée. Ils roulaient leur tabac dans les douilles des armes ou dans des morceaux de journaux. A Londres, à la fin de la guerre, la première fabrique de cigarettes est construite. Ces cigarettes sont sans filtre et ressemblent beaucoup aux cigarettes russes.
Au début du 20ème siècle, le cinéma devient de plus en plus important, ainsi que les cigarettes : inconsciemment, les spectateurs voulaient ressembler à leurs héros préférés. En 1920, les femmes se mettent elles aussi à fumer des cigarettes. Et, en 1942, le film « Casablanca » sort au cinéma. Le personnage principal du film, Rick (interprété par Humphrey Bogart), passe son temps à fumer même quand il serre dans ses bras ou qu’il embrasse sa bien-aimée Ilsa (Ingrid Bergman). On considère que ce film a banalisé la cigarette à l’écran.
La Seconde guerre mondiale n’a pas gêné le développement du business des cigarettes, bien au contraire, elle l’a aidée. Des millions de cigarettes ont été envoyées gratuitement aux soldats qui se trouvaient sur le front. Qui plus est, elles sont devenues l’un des objets indispensables de leur ration quotidienne, les parents des soldats les alimentant eux-mêmes. Sur des affiches publicitaires, on pouvait lire « ton ami est à la guerre ? », et elles expliquaient que le meilleur cadeau que l’on pouvait faire à un soldat au front, c’était des cigarettes. Après la guerre, les compagnies de tabac obtiennent beaucoup de nouveaux acheteurs, et parmi eux, d’anciens soldats.
Les premières cigarettes avec filtre n’apparaissent qu’en 1950, et c’est à cette même période que les scientifiques constatent un lien direct entre le tabagisme et le cancer du poumon. Après cela, la première campagne anti-tabac voit le jour. Mais les exploitants essayent de convaincre que ce sont les anciennes cigarettes sans filtre qui sont très dangereuses alors que les cigarettes avec filtre sont tout à fait inoffensives. Lorsque cette théorie cessa de convaincre, on vit apparaître les cigarettes « light » puis les cigarettes « super light ». Ainsi, on soutient que fumer une cigarette n’est pas plus nocif que de boire du jus de pommes. C’est alors qu’on se mit à aromatiser les cigarettes : en 1960 les cigarettes mentholées deviennent très répandues. Vers 2002, aux Etats-Unis, les cigarettes mentholées constituaient 27% des ventes. Elles sont très populaires parmi les Afro-Américains.
Aujourd’hui, les campagnes anti-tabac coûtent cher. Les Etats-Unis, en particulier, dépensent beaucoup d’argent pour ces campagnes. Par exemple, la campagne qui s’est déroulée de mars à juin 2012, a coûté au gouvernement 54 millions d’euro, et elle aura également lieu cette année. Evidemment, ces campagnes anti-tabac obtiennent des résultats. De 1965 à 2006, le nombre de fumeurs aux Etats-Unis est passé de 42% à 20.8%.
L’Europe investit beaucoup moins d’argent dans ces campagnes. Certes, aujourd’hui, on voit dans les films qu’il est interdit de fumer. Certes, il est interdit de fumer dans les cafés, dans les bars, dans les restaurants et dans les lieux publics. Certes, le prix des cigarettes augmente. Mais ces mesures n’ont convaincu les fumeurs d’arrêter que jusqu’à un certain point. On sait où il ne faut pas fumer. Mais dans les esprits, il n’y a pas d’idée précise de pourquoi il ne faut pas fumer. Aux Etats-Unis, on voit des vidéos dans lesquelles les fumeurs invétérés transmettent leur souffrance due à l’addiction. Est-ce que cela fonctionnerait pour l’auditoire européen ? Ou bien est-ce que ce serait finalement de la propagande et une pression sur l’esprit, comme dans ces films où les héros fument constamment.
L’alternative qui se présente à nous aujourd’hui, ce sont les cigarettes électroniques. Beaucoup pensent que le fait de passer à la cigarette électronique aide le fumeur à abandonner cette habitude nocive. Mais cette question est très contestable. C’est que ces cigarettes électroniques sans fumée contiennent peut-être autant de nicotine que les autres. L’unique avantage évident : la cigarette électronique ne nuit pas à la santé des non-fumeurs puisque la fumée qu’elle dégage est sans danger pour ceux qui se trouvent autour. Dans l’Union Européenne, on ne peut vendre que les cigarettes électroniques qui ne dépassent pas les 20 milligrammes de nicotine pour un millilitre de volume.
Oui, et en général, les cigarettes électroniques ne peuvent que plaire. Elles proposent un grand choix d’arômes, de la fraise jusqu’au café. Est-il possible que la cigarette électronique devienne une nouvelle illusion de goût ? Un tel goût enthousiasme le consommateur et on lui vendra de l’assurance. De la même façon qu’un acteur que l’on aime, qui, avec désinvolture, passe à l’écran en fumant une « Kent ». Et enveloppé par un arôme, l’homme fume de plus en plus, en s’identifiant à son film préféré de façon réaliste. Mais dans cette réalité, ce n’est pas trois heures de film, mais plusieurs années de film enfumé.
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