L’extrême-droite en Europe, paradoxe de la politique moderne
Le succès de l’extrême-droite en Europe donne naissance à de plus en plus de débats, à l’instar du phénomène lui-même, qui ne se limite pas seulement à un vote de protestation. Il est temps de réfléchir comment les partis d’extrême-droite ont quitté leur position périphérique et sont devenus des acteurs à part entière de l’arène politique, et comment ceux qui composent la majorité du parlement, perdent rapidement en popularité.
L’année 2014 s’est montrée riche en résultats contradictoires. Il y a presque six mois, les élections au Parlement Européen grondaient, elles brillaient non seulement par un faible taux de participation record (42,54%) mais aussi par le soutien extrêmement élevé aux partis d’extrême-droite et de de droite populiste, notamment le Front National en France, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) en Grande-Bretagne, le Parti de la liberté d’Autriche (Freiheitliche Partei Österreichs). Ce dernier, contrairement aux deux précédents, ne vient pas en première position mais a reçu un bon résultat (19,72% et la troisième place). De plus, le Parti de la liberté d’Autriche s’était déjà montré à la fin des années 80’ comme un acteur sérieux du monde politique autrichien. La situation actuelle, qualifiée de dangereuse par beaucoup, a reçu des interprétations diverses : vote de protestation, déception d’une politique anticrise, réaction à la situation économique compliquée et, naturellement, sanctions des gouvernements en place – ce genre d’explications vient souvent de la part des « géants » déconfits – les socialistes et le centre-droite en France, les travaillistes et les conservateurs en Grande-Bretagne. Toutefois un brusque virage à droite ne peut pas être entièrement expliqué par la logique de sanction à l’égard des gouvernements en fonction. Cette situation va de pair avec des tendances à l’euroscepticisme et au nationalisme, qui représentent une partie des idéologies de chacun des principaux partis d’extrême-droite, dont le succès a été confirmé aux élections de 2014.
Le rejet fort prononcé de l’intégration européenne s’inscrit logiquement dans une période de crise de confiance envers le travail des mécanismes financiers européens, qui n’ont pas fait face à la chute de l’économie, en particulier dans les pays méridionaux de l’Europe. Partout les électeurs affirment leur conviction que la politique économique européenne commune sert exclusivement au gros capital : les banques privées sont les seuls à en profiter, en recevant des pourcentages généreux sur les emprunts, faits en vue d’aider les pays financièrement en difficulté. Ces derniers, à leur tour, restent en difficulté, n’ayant pas la possibilité de sortir du cercle vicieux de la dette. Un autre aspect économique important, expliquant la loyauté des électeurs à l’extrême-droite, notamment la France, est l’aide publique excessive aux principales entreprises, une aide qui, pour beaucoup, conduit à la perte de la sphère sociale. A cela prennent part activement les socialistes au pouvoir avec à leur tête le président et le premier ministre, nommé en mars de cette année, qui ouvertement et de manière répétée, avoue son amour de l’entreprise (j’aime l’entreprise). Toutes ces raisons ont conduit les électeurs, dont la voix va traditionnellement aux partis de gauche, à faire cette fois-ci leur choix en faveur de Marine Le Pen. Ainsi, selon les données d’une étude menée par l’institut de sondage de l’opinion publique Ipsos, ceux qui ont donné leur voix au « Front National » sont à 43% des ouvriers, à 38% des fonctionnaires et à 37% des personnes sans diplôme d’enseignement secondaire.
Il vaut souligner que le glissement d’une part de l’électorat de la gauche vers les partis d’extrême-droite n’est pas un phénomène nouveau. On constate un phénomène semblable en Europe occidentale aux débuts des années 90’, mais précisément en 2014, il a atteint un pic, comme en France et en Grande-Bretagne.
Un autre événement important de l’année 2014 ne s’est pas moins montré contradictoire. Le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse le 18 septembre, au cours duquel la majorité antiséparatiste silencieuse s’est relativement mobilisée, a eu comme résultats 55,3% de voix contre l’indépendance face à 44,7% pour. A première vue, le lien entre le refus du peuple écossais à l’indépendance et l’appui aux sections de droite semble éphémère. Cependant, ce refus démontre de façon cachée un euroscepticisme indéniable du côté des Ecossais, allant à l’encontre des vues du premier ministre écossais et militant principal pour l’indépendance de l’Ecosse, Alex Salmond. Le leader du Parti national écossais considère en effet la participation à l’Union Européenne comme un bien absolu et un argument sérieux pour la séparation avec le Royaume-Uni, alors que Londres prévoit de faire passer un référendum sur la sortie de l’Union Européenne en 2017. Le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni avançant des mots d’ordre encore plus puissants vers cette sortie, a reçu la majorité des voix aux élections du Parlement européen. En outre, il propose des mesures anti-immigrations rigides, qui rencontrent le soutien des Britanniques. Il faut rappeler que précisément en Grande-Bretagne les violences des britanniques « de souche » et des forces de police à l’égard de la population colorée ont pris un caractère plus aigu au cours des nombreuses années, de l’événement à Notting Hill en 1958 jusqu’aux affrontements de 2011, qui ont eu principalement lieu dans les quartiers londoniens multi-ethniques et à problèmes. Cela semble être un lieu commun que, dans les situations de crise économique, les gens aient tendance à chercher des responsables parmi les « étrangers », même si ces derniers sont des citoyens du pays ; néanmoins la popularisation sans précédent de ces opinions énonce soit un diagnostic qu’il faut adresser à la société, soit que les choses sont un petit peu plus compliquées qu’elles ne se présentent à première vue.
Relativement, la politologue Maryvonne Bonnard relève que le succès du parti de Le Pen en France ne va pas plus loin qu’une expression de protestation : « Le Front national s'implante sur l'ensemble du territoire français, et non plus seulement dans certaines régions minoritaires. En plus, Marine le Pen a réussi à gagner les voix qui, traditionnellement, ne faisaient pas partie de son électorat, comme les personnes de plus de 60 ans, les catholiques pratiquants, mais aussi le vote ouvrier. Après avoir témoigné plusieurs alternances gauche-droite, certains électeurs ont décidé, d'ores et déjà, de ne plus voter ni pour les uns ni pour les autres. L'idée partagée par les électeurs du Front national est que ce dernier n'a jamais gouverné, et qu’il faut finalement lui donner sa chance. Les électeurs du FN espèrent voir de réels changements qui, selon eux, étaient absents aussi bien sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, que sous la présidence actuelle de François Hollande".
On a justement l’impression qu’une sorte de curiosité et de désir de changements drastiques pousse les Européens à choisir l’extrême-droite. Il est compliqué de savoir à quel niveau cette voix est consciente, cependant il serait tout à fait déplacé d’affirmer que l’Europe retourne en 1936. Le contexte politique devant nous est tout à fait différent et, s’il donne naissance à la frustration, il ne fournit aucune raison valable d’un risque de dégradation similaire. Il est vrai que dans une époque de crise des idées, les extrêmes deviennent attirants, ou du moins, bien plus attirants que les mots d’ordre monotones de tous les partis traditionnels, plus semblables les uns que les autres, lesquels sont au moins forcés de comprendre qu’une trop grande inertie conduit droit au néant.
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Статья довольно интересная,в чём-то спорная,но безусловно очень своевременная.