Les eurosceptiques l'ont emporté, et désormais, une série d'épreuves économiques et politiques attend la Grande-Bretagne. C'est avéré depuis le 24 juin au soir, moment où les premiers résultats du référendum ont commencé à tomber. La panique qui a gagné les opérations de bourse a mené en quelques heures à une chute du cours de la livre britannique qui s'est retrouvée à sa valeur de 1985. Les prix du pétrole aussi ont dévissé de 3,5 %. Le premier ministre britannique a annoncé sa démission. Ce sont les premiers signaux d'une crise naissante.

Selon les estimations du ministre des Finances George Osborne, le divorce d'avec l'UE coûtera près de 30 milliards de livre sterling au pays. Pour couvrir ces frais, le gouvernement devra augmenter les impôts et réduire les dépenses sociales. Sorti de l'UE, le pays s'expose à une baisse de son PIB de 3 à 9,5 % à l'horizon 2020, à la dévaluation, au krach de la bourse de Londres, à la fuite des investissements étrangers, à une baisse des exportations de 10 à 15 % et à l'augmentation de son taux de chômage de 1,5 à 2 points. Les conséquences du vote ne se sont pas fait attendre en Écosse et en Irlande du Nord, qui s'étaient prononcés en faveur du maintien dans l'UE pour la majorité d'entre eux. Avant même la publication des résultats du référendum, le premier ministre écossais déclarait que « l'avenir du pays était dans l'UE ». Sa déclaration a vite été suivie de l'annonce de l'Irlande du Nord qui souhaite un référendum d'union avec le sud.

L'Europe effondrée

Au sein de l'Union, Le Brexit effraie pour toute une série de raisons. Le Royaume-Uni contribue avec largesse au budget européen : il verse chaque année 15,2 milliards d'euros mais n'en reçoit que 6,7 de Bruxelles. La différence de 8,9 milliards profite en premier lieu aux pays d'Europe de l'Est. Le trou que laissera le Royaume-Uni sera désormais à la charge des 27 autres pays de l'UE. Selon les calculs du Sénat, les contributions de la France devront augmenter de 5 %, pour l'Allemagne et l'Autriche, la facture augmentera de 11 %.

L'Angleterre est la deuxième économie de la zone UE après l'Allemagne. Son PIB représente environ 16 % de celui de l'UE. Perdre un partenaire de cette taille entraînera de graves difficultés pour toute la zone euro. En quittant la zone de libre échange, bien des Anglais s'exposent à rompre leurs liens commerciaux avec les partenaires européens. Le Brexit portera un coup particulièrement dur aux Pays-Bas, à l'Irlande et à l'Allemagne. La France ne serait guère plus épargnée dans la mesure où sur le marché mondial, la Grande-Bretagne représente 7 % de ses partenariats commerciaux. L'Hexagone risque de perdre 10 % de ses exportations. Selon les prévisions, les industries alimentaires et chimiques seront particulièrement touchées. Pour les spécialistes, le Brexit coûtera à la France une contraction de son PIB de 0,2 à 0,4 point. En outre, les investisseurs étrangers déçus dirigeront leur attention vers les pays hors UE. La fuite des investissements pourrait laisser une cicatrice profonde à l'économie française.

De nouvelles perspectives ?

Ce n'est pour l'instant qu'une maigre consolation pour les opposants au Brexit, mais le verdict a aussi quelques côtés positifs. Selon le rapport préparé par la Bertelsmann Foundation, un tiers des entreprises d'exportations allemandes et britanniques envisagent de quitter l'Angleterre pour s'établir dans d'autres pays de la zone euro. C'est pour elles le seul moyen d'éviter les taxes douanières à l'exportation. La mesure concerne d'abord les géants de l'automobile comme Nissan, Ford et Toyota, mais elle intéresse aussi les entreprises d'agroalimentaire. La France pourrait très bien devenir leur nouveau pays d'accueil.

Autre conséquence du Brexit : à Londres, la City qui concentre l'activité financière en Europe, perdra fatalement son rôle majeur. La France pourrait bien en profiter.

La Grande-Bretagne occupe le quatrième rang mondial en terme de volume d'actifs bancaires (10,4 trillions d'euros). Londres compte cinq fois plus de banques étrangères que Berlin ou Paris. Parmi elles, les banques de règlements qui servent d'intermédiaire dans les opérations commerciales des firmes étrangères. En 2014, les compagnies financières ont signé un chèque de 85 milliards d'euros aux impôts. La logique est imparable : conclure des contrats avec des entreprises européennes sans faire partie de l'Europe n'est ni avantageux ni sans risque. La victoire du Brexit a rendu inévitable la délocalisation vers d'autres mégalopoles européennes.

Paris a toutes les chances d'encaisser cette somme rondelette et de prendre la place de Londres comme capitale financière européenne.

Mais la capitale française doit se préparer à affronter la concurrence : Francfort et Luxembourg sont de sérieux adversaires.

Un exemple contagieux

D'une part, pour les défendeurs du Brexit côté français, la sortie de la Grande-Bretagne est une épine dans le pied en moins. Pour eux, Paris et Berlin pourront alors former un tandem qui gagnera en efficacité et qui permettra la consolidation des liens entre les membres de l'alliance. Une union solide entre la France et l'Allemagne pourrait alors se former et remplacer le trio instable dont l'Angleterre capricieuse faisait partie. Car en effet depuis l'époque Margaret Thatcher, la Grande-Bretagne intégrée dans l'Union exigeait un traitement particulier. À son époque, elle avait refusé d'adhérer à la monnaie unique et à l'espace Schengen. Le 19 février dernier, David Cameron obtenait un statut spécial pour le Royaume-Uni, lui permettant de se soustraire à quelques normes juridiques imposées aux membres de l'Union. L'exception britannique a toujours soulevé toute une série de questions du côté des autres états membres de l'UE et créé une asymétrie au sein de l'Europe.

D'autre part, la décision prise le 23 juin pourrait entraîner un «effet domino». La Grande-Bretagne est le premier pays à quitter l'Union européenne et à créer par là-même un précédent. Les Pays-Bas, le Danemark et la France pourraient suivre : l'atmosphère d'eurosceptisme y est de plus en plus palpable. N'oublions pas que l'élection présidentielle en France est imminente. Une sortie irrévocable de l'Europe à la manière du Brexit peut être un argument de poids pour les primaires du Front National. Sa dirigeante Marine Le Pen a déjà lancé sur sa page Twitter un appel à l'organisation d'un référendum sur la même question.

L'incertitude inquiète

Bruxelles a échoué à conserver le « mariage de raison » et à éviter la « procédure de divorce » coûteuse. Comme dans les séparations de ce genre, on doit s'attendre à un partage du patrimoine et à des négociations pénibles sur les relations mutuelles à venir entre l'Europe et la brumeuse Albion. L'article 50 du traité de Lisbonne stipule que la sortie de l'UE est effective deux ans après la signature de l'accord sur les modalités de retrait du pays. Si l'on prend en compte la réorganisation et les querelles afférentes aux conséquences du retrait, il faudra plus longtemps encore. Il est probable que l'Angleterre quitte la zone économique européenne à la manière de la Norvège ou de la Suisse et qu'elle conclue avec l'UE un accord économique. La méthode pour laquelle Bruxelles optera n'est pas encore arrêtée: sera-t-elle celle du « bâton et de la carotte », selon que l'Europe privilégie de garder des liens les plus étroits possible avec Londres ou qu'elle veuille faire passer l'envie aux autres de marcher dans les traces du Royaume-Uni ? Le manque de recul et l'absence d'expérience et de stratégie pour traiter ce problème promettent un processus de négociation long et fastidieux.

Pour l'heure, l'important est que « l'Union Européenne est déterminée à garder son unité à 27 » comme l'a clairement affirmé le président du Conseil européen Donald Tusk. Pour y parvenir, il est absolument indispensable de réformer les bases législatives, économiques et politiques de l'Europe. La mission incombera en grande partie à la France car le pays doit retrouver confiance en lui et reprendre foi en l'Union européenne.