Auteur de nombreux ouvrages et articles sur l'orthodoxie, la prière, et la rencontre avec Dieu, ses écrits ont été traduits en plusieurs langues. Né le 19 Juin 1914 à Lausanne ( Suisse ) , le métropolite Antoine était fils de diplomate. À cause de la révolution russe, et après plusieurs années d'errance en Europe, sa famille s'établit en France. C'est donc dans ce pays que commença le chemin spirituel de l'un des évêques, missionnaires et ascétiques les plus éminents de l’Église Orthodoxe Russe.

Une vague de souvenirs est passée à travers l'Europe lorsque le métropolite Antoine a été honoré l'an dernier. À Londres, à Moscou et à Kiev se sont tenues des conférences en sa mémoire. Mais bien qu'il ait passé la seconde moitié de sa vie en Angleterre, la France aussi a conservé le souvenir de ce grand serviteur de Dieu.

Père Nicolas a accepté de partager les souvenirs qu'il a de Monseigneur Antoine avec « L'Observateur Russe ». Voici ce qu'il a pu en dire :

Père Nicolas, comment étiez- vous lié au métropolite Antoine Bloom?

Le Métropolite Antoine Bloom a participé aux moments les plus importants de ma vie. Il nous a mariés, mon épouse et moi-même, il m'a ordonné diacre et puis il a fait de moi son secrétaire. J'ai donc été à son service pendant trois ans à l'Exarchat de l'Europe Occidentale du Patriarcat de Moscou à Paris.

Comment l'avez vous rencontré?

J'ai rencontré Mgr Antoine lors de mes études à l'Institut Saint-Serge à Paris. À l'époque, je n'avais que 20 ans et j'étais étudiant en troisième année de licence. En ce temps, au sud de l'Angleterre, la Fraternité anglicano-orthodoxe donnait une conférence. À l'Institut, tout le monde savait que je parlais bien l’anglais. J'ai donc été envoyé à cette conférence en tant que représentant de l'Institut. C'était mon premier voyage en Angleterre. Je ne soupçonnais même pas que je ferais la connaissance de Monseigneur Antoine. Je ne pouvais pas non plus imaginer que celle-ci allait changer plus tard le cours de ma vie... Sans doute comme elle a changé le cours des vies de tous ceux qui ont entretenu avec lui une relation privilégiée.

La conférence se déroulait dans le comté du Kent. Comme il se doit en Angleterre, la propriété était entourée d'une merveilleuse pelouse. Monseigneur discutait avec quelqu'un sur la colline. De loin, j'ai remarqué que son interlocuteur essayait de lui prouver quelque chose. Pour autant, Monseigneur Antoine continuait à l'écouter attentivement. Autour d'eux, de petits groupes de personnes guettaient le bon moment pour parler à l'évêque.

Il avait une particularité : quand il apparaissait quelque part, il devenait immédiatement le centre de l'attention. Tous cherchaient à le saluer, les orthodoxes demandaient sa bénédiction, les anglicans s'inclinaient en signe de respect. Même avant le début de la conférence, par sa présence, quelque chose de festif se dégageait.

Une heure plus tard, tous ceux qui voulaient lui parler étaient partis. Il était seul. Je me suis donc rapproché de lui, j'ai demandé sa bénédiction et me suis présenté. Il a immédiatement commencé à me poser des questions sur l'Institut : Combien y a-t-il d'étudiants ? Comment nous vivons ? Comment nous étudions ? Il était très curieux. Il dégageait une joie profonde et sincère. Chaque personne qui le rencontrait pour la première fois, à peine présentée à lui, sentait déjà que l'évêque se réjouissait de faire une nouvelle connaissance.

Après cette conférence en Angleterre, nos chemins se sont de nouveau croisés à Paris, où Monseigneur venait régulièrement pour les affaires du diocèse. Ainsi, peu de temps après la fin de mes études à Saint-Serge, je suis devenu son secrétaire.

Comment était-il?

Simple, mais russe et orthodoxe jusqu'au bout des os. C'était un homme d'une grande liberté intérieure. Sa mission au sein de l’Église était sa priorité principale. Il voulait conduire tous les hommes au Christ. Et se retrouver en Angleterre, dans une paroisse russe, ne signifiait pas pour lui qu'il était prêtre seulement pour les émigrés slaves. Il vivait de la vocation missionnaire.

Monseigneur était très accueillant. Il était prêt à manquer une conférence s'il avait encore quelque chose d'important à dire à quelqu'un. Dans sa hiérarchie des valeurs, la relation avec les hommes et le ministère pastoral occupaient la première place sous une forme noble telle que la paternité spirituelle ou encore le mentorat. C'était son charisme, son don de Dieu, qu'il recevait et exécutait grâce à son détachement du monde, grâce au mystère et à une vie remplie par la prière. C'est pourquoi, il est l'un des rares qui pouvaient parler de la prière en se basant sur sa propre expérience. Par conséquent, ses mots étaient très concrets et des conseils très simples: « nous devons faire ceci et nous ne devons pas faire cela ».

Et son caractère?

Il était toujours ouvert, gentil et disponible. Le contact avec lui était facile. Durant toutes les années où je l'ai connu et où je suis resté auprès de lui, je ne l'ai jamais vu en colère, ce qui peut arriver à n'importe qui. Il m'est difficile de me le représenter dans un tel état. Je l'ai vu plusieurs fois triste et pensif. Il y a certainement eu des moments dans sa vie qui auraient pu causer en lui des réactions différentes, mais cela n'est pourtant jamais arrivé. La plupart du temps, il était joyeux. C'était quelqu'un à qui on pouvait s'identifier. La patience, la volonté de comprendre l'autre, même quand quelqu'un dit des choses tout à fait absurdes... Voilà ce qui le caractérisait.

Il était donc un exemple à suivre?

Bien Sûr ! Dans ma vie, il y a parfois des moments où je me retrouve dans une impasse ou face à un dilemme. Je me demande alors : « Qu'est-ce que Monseigneur ferait à ma place? ». C'est un bonheur d'avoir connu un homme à qui je pouvait faire confiance, à qui je pouvais me confier... Et essayer de l'imaginer réagir face à une situation donnée change beaucoup de choses.

Comment était-il au travail?

Léger ! Il a toujours eu confiance en ceux qu'il avait choisi pour effectuer des missions ou des tâches. Et les gens l'appréciaient pour cette capacité à déléguer. Malheureusement, parfois, certains abusaient de cette confiance. Avec moi, il entretenait une relation amicale. Je le voyais comme une figure paternelle et je lui était fidèle. Lorsque je commettais quelques fautes, il ne se mettait jamais en colère. Mais il disait avec un grand sourire : « Tu sais Nicolas, tu a fais ainsi, mais il faudrait reconsidérer ta décision » Jamais il ne me disait : « Quelle absurdité ! » ou « Qu'as-tu fait ? ». Au contraire, il disait plutôt « Je sais que tu avais les meilleures intentions, mais nous allons le faire autrement, qu'en penses-tu? » . Il avait une grande influence sur ceux avec qui il travaillait ou était étroitement associé.

Père Nicolas, probablement, Monseigneur Antoine avait de nombreux enfants spirituels?

Oui, les gens venaient se confesser à lui de tous les coins du monde. Il les inspirait ! Quand il venait à Paris, rue Pétel, il avait sa petite chambre. Elle était semblable à une cellule monastique. Il y avait seulement une table, une chaise, un lit et un lutrin avec des icônes, où il confessait. C'était sa principale occupation lors de ces visites. Il commençait assez tôt, à 8 heures et terminait environ à 11 heures du soir. Jeune, il était médecin. C'est pourquoi même avec ses enfants spirituels, il gardait cette habitude de fixer des rendez-vous. Les gens venaient et attendaient leur tour comme chez le médecin. Parfois, une vraie foule d'enfants spirituels patientait dans la grande salle.

Je ne sais pas où il puisait la force d'entendre chaque personne et de se plonger dans ses problèmes. Je pense que pour cela, il faut disposer de qualités exceptionnelles. Il se donnait entièrement à sa cause. Monseigneur éprouvait un réel intérêt envers tout le monde. Très souvent, quand les gens ressortaient de sa chambre, ils brillaient et étaient dans un état d'exaltation.

Je tiens à ajouter que la mémoire de l'Archevêque Antoine vit non seulement en Angleterre et en France, mais aussi en Russie, où il se rendait régulièrement. Lors de ces visites, il proposait des sermons qui étaient enregistrés. Ces enregistrements sont stockés et disponibles en version écrite à Moscou. Il n'écrivait rien à l'avance, ce qui atteste son talent de prédicateur. Ses mots étaient simples, mais en même temps profonds. En allant jusqu'au cœur des gens, ils les obligent à réfléchir. Certaines personnes, après l'avoir entendu prêcher, sont devenues différentes. Il pouvait changer les gens, leur donner la force, les aider à trouver le sens de leur vie et de la spiritualité.

Merci beaucoup pour ce récit très ouvert et intéressant. Grâce à des gens comme vous, Père Nicolas, nous pouvons découvrir de nouveaux aspects de la personnalité spirituelle du célèbre archevêque russe Antoine de Souroge et nous pouvons nous faire une meilleure idée de celui qu'il était.