Comment les Français se sont battus avec les mots en « franglais »
Le 20 mars la Journée internationale de la francophonie
Selfie, hashtag, mème, troll… A tous les coups, vous devez entendre bien des fois ces « nouveaux mots » ces anglicismes, nés sur cette vaste étendue qu’est la toile.
Si ce n’est pas le cas, sachez que : un selfie est un autoportrait pris la main tendue (qui vient de l’anglais selfie), l’hashtag est un mot thématique symbolisé par un diez sur Twitter, les mèmes sont des minois qui expriment diverses émotions, et la prochaine fois que vous tomberez sur une provocation préméditée dans les commentaires d’un article, vous pourrez sans crainte appeler votre interlocuteur « troll » (soit provocateur). Dans la langue russe, ces mots pas du tout russes s’infiltrent avec grande peine, alors que la langue française absorbe volontiers ces petits mots d’Internet. Au grand malheur de l’Académie française, et au bonheur général des internautes.
Ma langue, mon amie
Le 20 mars, c’est la Journée internationale de la francophonie, et c’est donc le moment idéal pour se poser la question de l’état de la langue française, qui au fil des années, est inondée de mots empruntés aux langues étrangères. En 2013, le dictionnaire d’Oxford a « admis » le mot selfie (il est même devenu « mot de l’année ») : cette nouvelle n’a manqué à aucun média français. Les journalistes ont « accepté » le nouveau mot à bras ouverts et il s’est répandu : dans les titres on peut voir « selfie d’Obama » aux obsèques de Nelson Mandela, « selfie d’Ukrainiens avec des soldats russes »… Selon Fabrice Antoine, linguistique à l’université de Lille : «Les médias sont aussi responsables pour cette anglicisation. Un journaliste qui fait un reportage sur «selfie» va mettre l'explication de ce mot, mais pas la traduction française en face, donc les lecteurs vont reprendre le mot original, donc, le mot anglais».
D’ailleurs, il n’y a pas que les journalistes qu’il faudrait accuser : dans son ensemble, il y a une tendance à utiliser des mots plus courts dans toutes les langues. D’ailleurs c’est pourquoi le mot « selfie » par exemple, a plus de chances de survivre, que son analogue, proposé par l’Académie française « autoportrait ». «Les linguistes appellent ça «le principe d'économie» ou «la loi de moindre effort» explique Fabrice Antoine. Cependant, cette « paresse linguistique » a toujours été à la mode : «Ça fait plus à la mode d’utiliser un mot en anglais qu’en français. Cette mode d’anglicisation existait depuis toujours. Dans les années 80 il y avait déjà beaucoup d’anglicismes, aujourd’hui nous parlons plus français qu’avant», conclut le linguiste.
Néanmoins, l’Académie française a tenté de toutes ses forces de lutter contre ces anglicismes importuns dans l’oxygène. Mais ils ne peuvent bien sûr rien interdire. C’est pourquoi l’Académie a créé un site (wikilf.culture.fr) sur lequel les internautes peuvent proposer leurs propres traductions. Il y a, bien sûr, des propositions tout à fait absurdes : par exemple, les puristes proposent de remplacer le mot déjà bien acclimaté « blogueur » par « paparazzi d’Internet », ou par « cahieur », « carnettiste » (par analogie avec le mot « journaliste »). Les meilleures traductions, selon les créateurs du site, seront données au Journal Officiel et donc, recommandées à l’usage. Et toutes les traductions officielles, approuvées par l’Académie française, sont présentées sur un autre site : http://www.culture.fr/franceterme.
Ça s’écrit Liverpool, ça se lit…
Malgré cet amour pour les emprunts aux langues étrangères, tous les Français ne sont pas aussi familiers avec la langue anglaise. On peut se rappeler une discussion de l’an dernier sur un projet de loi pour un enseignement partiel des matières en anglais dans les universités, projet proposé par la Ministre de l’enseignement supérieur Geneviève Fioraso. Les syndicats (FSU, CGT, FO) et les collectifs (Sauvons la Recherche, Sauvons l’Université) ont alors appelé à la grève, Marine le Pen a alors remarqué que « la France coule dans le moule d’une mondialisation à l’anglo-saxonne », et les académiciens ont commencé à dire que la langue française était opprimée de tous les côtés, alors que le projet de loi ne concernait qu’un pourcentage insignifiant de matières ! Dans une interview du journal La Croix, le président de l’Académie française, Bernard Pivot, nous a fait un tableau apocalyptique : « Si nous laissons l'anglais s'introduire dans nos universités, si nous le laissons, seul, dire la science et le monde moderne, alors le français se mutilera et s'appauvrira. Il deviendra une langue banale, ou pire, une langue morte ». D’autre part, pour certains journalistes, toute cette discussion était un excellent prétexte pour se moquer des Français, pour qui la langue anglaise est en principe trop difficile. Par exemple, en 2009, la France occupait la 69ème place (sur 109 pays) du classement des pays dans lesquels les citoyens réussissent l’examen en langue anglaise du TOEFL.
Certains Français reconnaissent même volontiers que la langue anglaise ne leur sert à rien, cependant ils continuent à utiliser, de façon sensée, des mots anglais trouvés sur Internet dans leurs discussions. Ici bien sûr, ce n’est aucunement le ton donné par l’Académie française, mais plutôt par leurs réseaux sociaux préférés. Il a fallu que Facebook traduise en français toutes les instructions anglaises de leur site puisque la majorité des Français a cessé d’utiliser le terme « liker » pour lui préférer la version française « aimer ». Et lorsque Twitter a créé sa version française, l’anglicisme follower a été remplacé par un terme français plus traditionnel : suivre. En russe, il nous faut encore passer ce chemin épineux : peu nous importe qui « aime » notre « poste » sur Facebook, parce que tout dépend de la quantité de « like ». Et sur Twitter, de la quantité de « followers ». Et ce n’est pas encore autrement.