Thomas Piketty – Le Karl Marx du IIIe millénaire?
A l’horizon économico-politologique français rayonne le best-seller « Le capital au XXIe siècle » de l’économiste Thomas Piketty, que l’on célèbre comme « le Karl Marx du IIIe millénaire ». Son livre a connu un grand retentissement parmi les spécialistes, qui l’ont défini comme « un tournant de la science économique, ayant changé l’approche même de l’économie ». Aujourd’hui, le nom de Thomas Piketty parvient même aux oreilles de ceux qui ne comprennent pas grand chose à la macro-économie. Les penseurs de centre-gauche et les activistes nomment le livre de Piketty « le nouveau testament économique »...
« L’argent à l’argent »
– telle est la formulation (extrêmement courte) du principe que l’on peut énoncer à partir des 700 pages de l’ouvrage de Piketty. Avec un langage de chiffres simple, mais pas pour autant simplifié, l’économiste développe le thème de l’inégalité économique en Europe et aux Etats-Unis. A la base de son travail se trouvait l’ensemble des données internationales sur les revenus qui recouvre presque les 300 dernières années, données qu’il a rassemblées pendant de longues années à travers le monde avec Emmanuel Saez, Anthony Atkinson et tout un collectif de spécialistes. Les chiffres récoltés montrent avec impartialité que l’époque d’après-guerre – quand en Amérique du Nord et en Europe occidentale on observait une forte croissance économique et que l’inégalité des revenus se réduisait – fut une exception extraordinaire à la règle générale.
L’idée principale de Piketty, son innovation dans l’analyse de la vieille théorie est la suivante : tant que le niveau du ratio de productivité du capital reste supérieur au niveau de la croissance économique, les revenus et la fortune des riches vont croître plus vite que les revenus de travail ordinaires.
Une si frappante inégalité des revenus, qui correspond ou même dépasse celle qu’il y avait aux Etats-Unis pendant « l’âge doré » (des années 1870 à 1898), semble être la norme pour le capitalisme industriel. Piketty avance une théorie économique sur la logique de ce phénomène (c’est-à-dire, pourquoi le capital va-t-il s’accumuler plus vite de ce que ne va croître l’économie en général) et, en même temps, il avance aussi une série d’idées politiques sur la manière dont nous devons réagir à ces principes économiques de base.
Le livre « Le capital au XXIe siècle » ne ressemble pas aux habituelles recherches fondamentales académiques. Il s’agit d’une sorte d’ « économie divertissante » pour les masses « non avancées ». Par celle-ci, T. Piketty cherche à expliquer à ces mêmes masses les causes, les effets et les conséquences de la « divergence » (dans la terminologie de Piketty) de l’accroissement de l’inégalité. Il construit ses arguments à l’aide du postulat suivant: dans les conditions actuelles, la concentration de la richesse dans les mains d’une minorité ne va que croître. Afin d’équilibrer la situation, l’économiste propose d’introduire un impôt global sur la richesse en tant que panacée. En outre, « la Chine pourrait introduire l’impôt sur la richesse avant nous », plaisante l’économiste – et d’ajouter « On va voir ».
...Bref, Piket
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« Le capital au XXIe siècle » a eu une énorme résonance – le tirage total du livre dépasse un million et demi d’exemplaires – de même que « L’histoire du Parti communiste des bolcheviks de toute l’Union soviétique » en URSS!
En outre-mer Piketty a été littéralement hissé sur le pavois ! A quoi doit-on le succès du livre de l’économiste d’extrême-gauche dans un pays ultra-libéral comme les Etats-Unis ? Il s’explique par le fait que les anglo-saxons portent beaucoup d’estime aux spécialistes. Le capitalisme américain juge assez sainement des choses et craint la réalisation des pronostics de Karl Marx. C’est pour cela qu’aux Etats-Unis nous sommes en présence d’un mécanisme régulateur qui limite la croissance des monopoles. Il faut rappeler, par exemple, que l’homme le plus riche du monde – Bill Gates – n’a aucune intention de léguer son énorme fortune à ses fils, pour éviter qu’ils ne deviennent des parasites. Il les prive de son argent afin qu’ils travaillent et qu’ils ne se reposent pas sur leurs lauriers – faits d’un matelas plein à craquer de billets verts. En effet Bill Gates lui-même, comme on le sait, a pratiquement commencé à zéro.
Un tonnerre au milieu de l’hiver 2015
L’année 2015 à peine entamée, la France a déjà connu un scandale sensationnel ! Le premier janvier, T. Piketty a refusé l’ordre de la Légion d’honneur, pour lequel il avait été proposé avec 690 de ses compatriotes, parmi lesquels deux prix Nobel – l’écrivain Patrick Modiano et un collègue de Piketty – l’économiste Jean Tirole, spécialiste de la théorie des jeux et de la complexité des marchés.
Nous rappelons que l’ordre de la Légion d’honneur, institué par Napoléon Bonaparte en 1802, est en lui-même une des plus importantes institutions de l’Etat français et un symbole de la République. L’appartenance à l’Ordre marque la plus haute distinction, l’honneur et la reconnaissance officielle de mérites éminents rendus à la France. En outre, parmi ses membres se trouve le président de la République française – aussi Grand maître de l’Ordre, qui comprend aujourd’hui plus que 92000 personnes. Et voilà que Thomas Piketty n’a pas voulu se joindre à cette « élite vivante de la nation » d’après la définition du général De Gaulle.
Piketty a commenté son refus dans un interview au quotidien « Le Monde » à Boston, où il séjourne actuellement:
« Je viens d’apprendre que j’étais proposé pour la Légion d’honneur. /.../ Je pense que ce n’est pas au gouvernement de décider qui est honorable et qui ne l’est pas ». Ensuite, l’économiste a conseillé aux autorités « de se consacrer à la relance de la croissance économique en France et en Europe, et pas à la distribution de boutonnières tricolores ». « J’assume totalement ce que je pense de l’action de ce gouvernement pendant ces deux dernières années. Et je n’ai pas besoin d’une Légion d’honneur pour écrire mes livres» — a conclu l’économiste en colère.
Thomas Piketty a ses raisons pour se fâcher contre l’injustice commise par les autorités. En effet, personne d’autre ne s’est investi autant que lui dans l’élaboration et la mise au point du programme préélectoral de François Hollande. Et c’est exactement grâce à cette plate-forme, très à gauche, que le président socialiste a été élu.
Hélas, ce programme ne fut pas mis en oeuvre. Arrivé au pouvoir, F. Hollande a fait volte-face dans sa politique, pas brusquement mais de façon essentielle. Il « a refusé l’aventure » c’est-à-dire le système propose par T. Piketty. En cela, F. Hollande s’est montré un véritable disciple et continuateur de François Mitterrand, qu’il imite même dans le ton de ses discours.
F. Hollande se souvient de ce qu’il se passa en ’83. Cette année où Mitterrand révisa totalement son programme initial, qui prévoyait des points en commun avec la position des communistes, qu’il avait appelés au gouvernement, représenté par le premier-ministre Pierre Mauroy. Au début, ce gouvernement devait réaliser un vaste programme de gauche – la nationalisation, la décentralisation du pouvoir étatique, la réduction de la semaine de travail, l’abaissement de l’âge de la pension et la libéralisation des médias.
A ce moment-là, ce programme utopique mena à la catastrophe – à la fuite des capitaux, à l’inflation et au déficit budgétaire. La France se trouva devant un choix à faire : soit changer de politique, soit quitter l’UE. En ’83 Mitterrand décida de refuser ce programme commun avec les communistes : il les vira du gouvernement et, à la place de P. Mouroy, il nomma L. Fabius, qui arrêta les reformes de gauche. Le nouveau premier-ministre coupa court à l’idée de la nationalisation des banques et passa à un régime d’« économie de rigueur ».
Suivant le chemin tracé par Mitterrand, tout de suite après son élection, Hollande refusa le programme proposé par Piketty. De plus, il ne nomma pas Piketty à la tête du conseil économique, même si l’économiste у aspirait. En août 2014, le volte-face fut achevé: le ministre de l’économie, A. Montebourg, fut viré du Conseil des ministres pour avoir critiqué la politique économique des socialistes et, à sa place, on appela Emmanuel Macron, ancien banquier de « Rotschild » — ce qui mit Piketty encore plus en colère !
« La Légion d’honneur des objecteurs »
Piketty n’est pas le premier (ni, véritablement, le dernier) parmi les personnalités qui ont décliné ce « haut degré de reconnaissance de l’état ».
En différentes époques, le général Lafayette, Hector Berlioz, Maurice Ravel, Gustave Courbet, Albert Camus, Léo Ferré, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ont refusé le « fatal insigne » (d’après la définition sarcastique de l’objecteur-Brassens).
Les Curie aussi le déclinèrent: « En sciences, nous devons nous intéresser aux choses, pas aux personnes ! » — réagit Marie Curie. Pierre Curie, quant à lui, déclara tout simplement qu’il n’en voyait pas « la nécessité ».
En 1949 Marcel Aymé refusa l’ordre de la Légion d’honneur en signe de protestation pour avoir été soupçonné de collaborationnisme.
Brigitte Bardot aussi le déclina – « ma Légion d’honneur, je la dédie aux animaux qui souffrent ».
Dans le cas de Georges Sand, en réponse à la proposition du ministre pour sa décoration, elle s’en était tirée avec une plaisanterie : « Ne faites pas ça, mon cher ami ! Avec cet insigne je vais ressembler à une vieille cantinière ! ».
P. S. : Pourquoi n’aime-t-on pas les économistes ?
Personne n’aime les économistes. Les représentants des sciences exactes, de la physique, des mathématiques ne les aiment pas parce qu’ils traitent les données scientifique de façon beaucoup trop « informelle », qu’ils construisent des modèles fragiles, décrivant une réalité immuable. Chez les spécialistes du domaine des sciences humaines, les sociologues, les psychologues et les représentants des sciences sociales, les économistes ont une mauvaise réputation car, au contraire, ils pécheraient par une utilisation excessive de chiffres, constructions, modèles, etc., et par une scolastique, d’après eux, inutile. Une raison ultérieure qui contribue à la fragile réputation des économistes est le fait qu’en économie, à ce qu’on dit, on peut recevoir le prix Nobel pour des théories qui se contredisent les unes les autres. Il y a des spécialistes qui affirment une chose, d’autres qui disent le contraire – mais tous sont considérés comme de grands savants.
De plus, l’économie se base en grande partie sur des propositions, des théorèmes, des hypothèses, que l’on peut tester à l’aide d’une expérience incertaine, ayant parfois un résultat tout à fait catastrophique. L’échec de la stratégie de passage à l’économie de marché à travers la « thérapie de choc » en Russie peut servir d’exemple.
P.P.S. : Et si l’économie n’était pas du tout une science ?
Ça l’est en partie et, en même temps, ce ne l’est pas du tout. Les économistes, en fait, s’efforcent en toute honnêteté de bien travailler. L’économie même est une discipline assez sérieuse, mais 2+2 n’y est pas toujours égal à 4. Il y a là plusieurs modèles, à partir desquels on construit différents théorèmes et hypothèses, que l’on teste sur base d’expériences (ou de quasi-expériences). Soyons francs : la science économique moderne se trouve aujourd’hui au même stade auquel se trouvait, par exemple, la physique il y a 300 ans. Or, la physique est, au final, sortie du dédale. A contrario, il est tout-à-fait possible que l’économie soit destinée à y rester à jamais.
Полезная и толковая и своевременная статья.
Я вначале и симпатизировал Олланду за то, что он, в отличие от традиционных левых, провозглашавших слом капитализма, собирался сохранить его (это большой шаг для левых, которые его за это возненавидели), но по возможности сделать его более этически приемлемым для масс, как раз по Пикетти. Олланд, однако, ничего такого не предпринял, очевидно, испугался. Надо признать, что момент был неудобным для экспериментов: во времены кризиса главная забота — не провалиться бы еще дальше.
Относительно хаоса в экономической политике у Киры все ИМХО правильно. Можно только добавить, что главной причиной этого положения является то, что экономика оказалась политической наукой. Например, идея Кейнса, что из кризиса можно выйти, увеличивая потребление масс, стала лозунгом левых, несмотря на свою абсурдность. Я не думаю даже, что достаточно умный Кейнс сам верил в это. Такой маневр действительно может помочь выйти из небольшого кризиса в стране, ориентированной на производство предметов потребления. Но тяжелый хронический современный кризис он может только усугубить.
Физике крупно повезло в том, что политикам было безразлично, как устроен атом и они не мешали рабртать.