Bordeaux hier

Il y a 15 ans quand je suis arrivée dans cette ville, elle évoquait l’ennui et la tristesse. Dans toutes les rues se traînaient des rangées monotones de vieilles maisons médiocres en pierre, couvertes d’un voile noir par le temps et la saleté. Elles semblaient considérer avec angoisse et résignation leurs voisines à quatre roues, dont les imposantes cuirasses métalliques recouvraient entièrement la moitié des rues et des trottoirs étroits.

На набережной Бордо теперь каждый находит свой уголок для развлечений и отдыха. © Photo Ogoulbibi Marias

Les voitures se sentaient légitimement maîtres de la ville. Et les piétons appartenaient à une espèce en voie d’extinction. Les rues au-delà du centre-ville étaient toujours désertes. On ne pouvait rencontrer de foules animées que sur deux « artères » principales, abandonnées aux piétons, où se concentraient les magasins.

 Toutes les autres rues, les boulevards, les places débordaient de voitures. On m’assurait qu’aucune force n’obligerait les habitants de Bordeaux à laisser leurs voitures au garage, on disait qu’ils n’étaient pas faits pour emprunter les transports en commun. Mais il faut dire qu’en matière de transports publics, ils n’étaient pas gâtés. La ville est très étirée, les autobus étaient rares et le voyage d’un bout à l’autre de la ville demandait beaucoup de temps.

Типичный дом Бордо.© Photo Ogoulbibi Marias

Tout le monde soupirait , résigné, et discutait de la puissance passée de Bordeaux, de l’extraordinaire prospérité de la ville au 18ème siècle et de l’intense activité du port. A cette époque, le port de Bordeaux, surnommé le port de la Lune en raison de sa forme, était le plus important de France. D’ici on envoyait des tonneaux de vins mondialement réputés vers les pays nordiques. Ce port liait la France à ses colonies. Des rives de la Garonne, partaient des navires vers l’Afrique, vers les Antilles.

Набережная — любимое место жителей Бордо. © Photo Ogoulbibi Marias

Les habitants de Bordeaux étaient les premiers producteurs et fournisseurs de sucre, de café et de cacao outre-Atlantique. Au 18ème siècle, beaucoup d’habitants provenaient d’autres villes du pays, la population de Bordeaux avait doublé. Tout le monde devait avoir un logement. Ceux qui avaient les moyens, se construisaient une belle maison en pierre à 2-3 étages. Chacun essayait de décorer sa façade de façon à surpasser ses voisins. Pour la population pauvre, on a construit des maisons à plusieurs étages, principalement le long de la rive.

 Le boum urbanistique a éloigné de la ville les célèbres vignobles. Au 20ème siècle, le port autour duquel la ville a vécu et s’est construite pendant des siècles, a perdu de son importance. La cause en est que la ville de Bordeaux est séparée de 60 kilomètres de l’océan. La Garonne – la rivière sur laquelle est située la ville – est très capricieuse, son courant change en fonction des marées hautes et des marées basses de l’océan. La navigation s’est modernisée, ses capacités ont grandi et le principal port de la Gironde s’est rapproché de l’océan. Ainsi, la Garonne large de 500 mètres se dépeuple au niveau des rives de Bordeaux. Sur le port de la Lune et sur le quai long de quelques kilomètres on construisait depuis l’antiquité d’énormes entrepôts et des hangars. Même quand les navires ont cessé d’aller à Bordeaux, cette zone était considérée industrielle. Les édifices noircis le long de la rive n’avaient pas été restaurés depuis longtemps, il ne venait à l’esprit de personne de se balader par ici…

Набережная Бордо. © Photo Ogoulbibi Marias

Selon l’opinion partagée des Français, les Bordelais sont des gens en grande partie conservateurs, n’aimant pas le changement. Pendant cinquante ans, ils ont élu le même maire. Jacques Chaban-Delmas, sans aucun doute une figure politique majeure, un héros du mouvement de la Résistance, fut le premier ministre à l’époque du président Georges Pompidou, et présida l’Assemblée nationale à trois reprises. De 1947 à 1995, il fut sans interruption le maire de Bordeaux. Dans les années 1950—1960, il fit vraiment beaucoup de choses afin de moderniser la ville. Pendant ces décennies, sont apparus des quartiers entiers avec des grands immeubles de logements, des centres administratifs modernes, des centres commerciaux confortables.

На улицах Бордо теперь только трамваи, пешеходы и велосипедисты.
© Photo Ogoulbibi Marias

Depuis la fin du 19ème siècle les tramways roulaient à travers les rues de Bordeaux, au début ils étaient tirés par des chevaux, puis les lignes électriques firent leur apparition. A l’apogée des automobiles, les rails devenaient gênants, et en 1958 le maire et son équipe ont pris la décision de supprimer le tramway et de le remplacer par des autobus. Seulement dans les années 1970, le trafic commença à étouffer la ville, les autobus ne pouvaient pas gérer le transport d’une population toujours croissante. Le problème des transports fut étudié à tous les niveaux, on mit en place des concours mais on ne prenait pas de décisions. Le maire, ayant supprimé le tramway, était catégoriquement contre son retour. Mais tous les projets de construction de métro restaient sur papier. Ce luxe était trop cher pour une ville exagérément étirée avec une densité faible de population. En outre, Bordeaux s’est élevée sur d’anciens marécages et en conséquence de cela, des dispositions d’ingénierie très complexes sont nécessaires pour pratiquer un tunnel en-dessous de la large Garonne. Les maisons en pierre, ces beaux ouvrages architecturaux ont continué de se couvrir de fumée, et les citadins de respirer les gaz d’échappements jusqu’à ce qu’ils aient élu un nouveau maire. Il faut dire que les Bordelais ont rendu hommage à leur maire perpétuel. Sa haute statue de bronze est maintenant érigée sur la plus importante place, à côté de la cathédrale Saint-André et son nom a été donné au nouveau pont.

Bordeaux aujourd’hui

Площадь Pey-Berland, где красуется Собор Сант Андре, раньше была наводнена автомобилями. © Photo Ogoulbibi Marias

Il est intéressant que le nouveau maire – Alain Juppé – soit aussi un homme politique considérable et comme Jacques Chaban-Delmas, un premier ministre dans les années de la présidence de Jacques Chirac, il a aussi dirigé différents ministères. Après une carrière pas très brillante de premier ministre, Alain Juppé a depuis 1995 mit toute son énergie en œuvre pour réaménager Bordeaux. Dès les premiers jours, il a tranché le « nœud gordien » des transports publics : il a lancé l’implantation de lignes de trams. A cette époque sont apparues de nouvelles technologies, les lignes de tension sont enfouies dans le sol. Maintenant les rails ne sortent plus, on a des tramways propres, silencieux et rapides. L’idée principale du nouveau maire était de rendre la ville aux piétons et aux cyclistes. Pendant quelques années, les citadins rouspétaient et eurent des difficultés dues aux travaux au cœur de la ville et à cause de l’impossibilité de passer au travers de la majorité de ceux-ci. Mais progressivement ils s’habituèrent à l’idée qu’on ne peut pas utiliser un transport individuel dans le centre-ville. Dans les rues périphériques, on a construit beaucoup de parkings où on doit laisser sa voiture pour aller à pied ou prendre le tram.

На улицах Бордо теперь только трамваи, пешеходы и велосипедисты.
© Photo Ogoulbibi Marias

Dans le même temps à Bordeaux, on a entrepris de nettoyer les murs des constructions et monuments historiques principaux et peu à peu on a enlevé la couche de saleté de tous les édifices. La ville une fois lavée était plus jolie. Les places et les rues du centre sans voitures se sont révélées incroyablement vastes. Tout le monde vit soudain quels beaux monuments ont été conservés dans cette ville. Il faut dire que Bordeaux et d’ailleurs aussi Saint-Pétersbourg ont eu la chance de ne pas avoir été choisies comme capitales et d’avoir conservé un ensemble architectural de différentes époques. D’ailleurs, ces deux villes sont jumelées.

Зеркало воды на набережной напротив площади Биржи. | Place de la Bourse. Miroir de l'eau. © Photo Ogoulbibi Marias

Quand en 2005 les nouveaux tramways se sont mis à rouler, les Bordelais ont laissé sans regrets leur voiture au garage et ont commencé à se promener dans leur ville. Les étudiants qui auparavant en partant du campus atteignaient le centre en une heure, mettent maintenant 20 minutes en transport. L’action s’est étendue jusqu’à la rive, on a fait tomber la majorité des entrepôts et des hangars de la rive gauche.

De 2000 à 2009 la transformation des rives eut lieu. La rive d’une longueur de 4,5 km et d’une largeur de 80 mètres a pris l’allure d’un paradis pour les citadins et les touristes. Les véhicules de transports y ont diminué de moitié, mais par contre les lignes de trams roulent. Les piétons et les joggeurs ont le champ libre, pour les cyclistes on a spécialement construit des pistes, des clairières verdoyantes pour les pique-niques et les loisirs, des places et des structures pour faire du skateboard et du patin à roulettes. Dans les hangars conservés se sont installés des magasins, des restaurants, des cafés avec une terrasse dont la vue donne sur la Garonne.

Зеркало воды на набережной напротив площади Биржи. | Place de la Bourse. Miroir de l'eau. © Photo Ogoulbibi Marias

La fierté spécifique des Bordelais est le plus grand « miroir d’eau » du monde. En face de la place historique de la Bourse, il y a une étendue de 3450m² recouverte d’eau sur laquelle se reflètent les édifices, le ciel, les nuages, les lumières, les pieds nus, les crissements enthousiastes des enfants. Cela dure 15 minutes, ensuite l’eau disparaît, se sauvant par les trous sous les plaques de granit. Pendant cinq minutes se crée un brouillard qui peut atteindre jusqu’à deux mètres et cacher tous les édifices, voitures et gens. En trois minutes, le brouillard se dissipe et l’eau réapparaît à nouveau….

 Ainsi tous les préjugés sur le fait que les Bordelais sont des conservateurs et ne peuvent envisager leur vie sans la voiture sont partis en fumée. Maintenant tout le centre de Bordeaux et ses rives bouillonnent toute l’année. Depuis 2007 tout l’ensemble de la ville de Bordeaux, en incluant le port de la Lune et les rives, sont inscrits dans la liste du patrimoine mondiale de l’UNESCO.

  Plus de 360 monuments sont désormais sous la protection de l’UNESCO (c’est deux de plus que la ville de Paris). Depuis 2004 une commission spéciale établit l’inventaire des édifices. Sous la protection, il n’y a pas seulement le centre avec ses magnifiques palais, mais des quartiers entiers avec des maisons privées peu élevées, à travers lesquelles on peut apprendre l’histoire de l’architecture, tellement sont représentés ici les différents styles de chaque siècle…

 Maintenant quand je vais à Bordeaux, il me semble qu’une bonne fée y est passée, qu’elle a enlevé les maléfices et a insufflé la vie et la jeunesse dans cette ville jadis fanée. Le nom de cette fée nous le savons tous.

 Aujourd’hui le nom d’Alain Juppé résonne dans tous les actualités. Loin de moi l’idée de l’aider dans sa campagne présidentielle. Mais si on me demande mon avis, je répondrais : les hommes politiques devraient être jugés non pas en fonction de leurs paroles mais en fonction de leurs actes…