La Comédie Française joue Les Estivants
La première de la pièce de Maxime Gorki Les Estivants s’est tenue à La Comédie Française dans une mise en scène de Gérard Desarthe. Nous est présenté un tableau captivant de la Russie, au seuil de ses révolutions, écrit le journal Le Figaro.
A dire vrai, le plus grand théâtre français a dans une certaine mesure emprunté les sentiers battus. Il a repris la version que le célèbre metteur en scène allemand Peter Stein et son théâtre Schaubühne avait d’abord capturée pour le cinéma dès les années 70 en Russie parmi les bouleaux et ensuite adaptée pour la scène.
Malheureusement, Gorki dramaturge demeure jusqu’à présent en occident dans l’ombre de Tchékhov, qui depuis des décennies occupe une place privilégiée dans le répertoire des théâtres de la capitale comme de province. A propos des « Estivants », Gérard Desarthe affirme que l’action se passe dans un jardin tchékhovien. Seulement sur la scène les bouleaux remplace à nouveau les cerisiers, sur les troncs desquels ont été peints des visages.
«Я хотел изобразить ту часть русской интеллигенции, — писал Алексей Максимович, — которая вышла из демократических слоев и, достигнув известной высоты социального положения, потеряла связь с народом – родным ей по крови, забыла о его интересах и необходимости расширить жизнь для него».
«Интеллигенция – это не мы, говорит центральный персонаж пьесы Варвара Михайловна. – Мы что-то другое… Мы дачники в нашей стране… Мы ничего не делаем и отвратительно много говорим».
Les Estivants ont été écrits en 1902, mais mis en scène en 1904, année de la mort de Tchékhov, au théâtre Komissarjevsky. A cette époque en Russie le théâtre était plus que du théâtre. La première des « Estivants » au théâtre Solovtsev de Kiev en février 1905 entraîna des désordres dans la salle de spectacle. Le public réclamait la libération du dramaturge, emprisonné à la forteresse Pierre-et-Paul. On criait : « Vive la liberté ! », « A bas l’autocratie ! ». Cette même année la représentation de la pièce s’accompagnait de troubles à Odessa, Rostov-sur le Don, à Saratov et dans d’autres villes.
"Je voulais peindre cette partie de l'intelligentsia russe qui est issue du peuple mais qui, du fait de sa promotion sociale, a perdu tout contact avec les masses populaires, oublié les intérêts du peuple et la nécessité de lui frayer un chemin."
En effet le grand écrivain prolétarien méprisait une intelligentsia « embourgeoisée » : « Ils ne peuvent comprendre ces grèves, la volupté qu’on trouve dans les batailles de la vie ; le fracas des coups de foudre les épouvante. Le stupide pingouin cache peureusement son corps gras dans les rochers. » Dans ce rapport il était de beaucoup solidaire avec le guide de la révolution russe. Comment ici ne pas se souvenir des mots de Lénine adressés à Gorki en 1919 et affirmant que «L’intelligentsia ce n’est pas le cerveau de la nation, mais sa m… »
Les classiques sont actuels à toutes les époques et sous toutes les latitudes – des russes aux françaises. Dans Les Estivants, Gorki a montré la transformation de l’intelligentsia en bourgeoisie, ce qu’un autre révolutionnaire, Alexandre Herzen, qualifiait de « forme supérieure de la civilisation occidentale ».
Cela se rapporte également à l’écrivain Yakov Chalimov comme « contemplateur solitaire de la vie » à qui l’auteur, selon ses mots, a prêté plusieurs traits du philosophe Nicolas Berdiaev et jusqu’aux siens propres.
« L’intelligentsia – ce n’est pas nous, dit le personnage central de la pièce Varvara Mikhaïlovna, Nous, nous sommes quelque chose d'autre… Nous sommes des estivants dans notre pays… des espèces de vacanciers….nous ne faisons rien et nous parlons tellement que ça dégoûte. »
Plus impitoyable encore à l’égard des « Estivants » dans la pièce est le jeune Vlas, qui par son maximalisme rappelle le personnage de Tchékhov Petia Trofimov. Sous la forme poétique d’un monologue accusateur, il exprime la position de l’auteur :
Des geignards et des petits minables Marchent sur le sol de ma patrie Ils sont là, à se chercher des places Pour pouvoir se cacher de la vie. À vouloir leur paix, leur panse pleine Leur confort et leur petit bonheur… Ils sont là, à geindre et à se plaindre, Petits lâches, petits menteurs. Des idées volées et minuscules… Des bons mots tout neufs et déjà vieux… Au bord de la vie, en douce, ils rampent, Ombres ternes, petits êtres creux…Néanmoins, Gérard Desarthe lui-même qualifie cette pièce de « tragédie optimiste ». Aux « Estivants » sont opposés des héros, qui veulent « élargir, reconstruire, éclairer la vie ». Ce sont, dans l’ensemble, des femmes, que Gorki tenait pour la meilleure partie de l’humanité.
Gérard Desarthe, âgé de 69 ans, est l’un des plus célèbres metteurs en scène français. Il a monté des pièces de Corneille, Claudel, Alain-René Lesage, Harold Pinter, Amélie Nothomb et se tourne enfin pour la première fois vers l’œuvre de Gorki.
Desarthe est aussi largement connu comme acteur. Il a joué dans les spectacles de Patrice Chéreau, Roger Planchon, Giorgio Strehler, Luca Bondi, Jean-Luc Boutté, dans La mouette et L’oncle Vania de Tchékhov. Au cinéma il a tourné pour Marguerite Duras, Bertrand Tavernier et Michel Deville.
Dans son spectacle est transmise à merveille l’atmosphère inquiétante de la tempête qui s’annonce, dans laquelle vivait alors la Russie. Tous les acteurs jouent à la perfection. Le même journal Le Figaro remarque en particulier Alexandre Pavloff dans le rôle de Pavel Sergueïevitch Rioumine, intellectuel nerveux et désespérément amoureux.
Les œuvres russes sont rarement représentées sur les planches de La Comédie Française. Il est vrai que le théâtre avait déjà affiché Les Estivants en 1983 dans une mise en scène de Jacques Lassalle. Sur la scène ces dernières années se sont succédées La Forêt de Ostrovski dans la mise en scène de Piotr Fomenko, Le Reviseur du metteur en scène Jean-Louis Benoit, la pièce de Tourgueniev Un mois à la campagne adaptée par André Smirnov, La Mascarade de Lermontov, dans l’adaptation d’Andrei Vassiliev. Les décors remarquables de ces deux derniers spectacles ont été signés par le peintre Boris Zaborov, qui vit à Paris. En janvier dernier sur la petite scène du théâtre du Vieux-Colombier («Le vieux pigeonnier») était joué Oblomov du metteur en scène Volodia Serre.
Les Estivants sont à l’affiche de La Comédie Française jusqu’au 25 mai 2015.
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