Lermontov et Youli Galpérine à la salle Cortot
Il est agréable de découvrir quelque chose de neuf, particulièrement si cela est clairement et exactement « neuf », même si pour beaucoup cela n’est pas nouveau et qu’il est un peu déplaisant de ne pas l’avoir su auparavant – une année, et même mieux deux ans pour qu’ils puissent aller au concert, écouter, regarder et applaudir ! Ici, ce qui est neuf est une déclaration d’amour aux « Déclaration d’amours », puisque c’est précisément ainsi que s’intitulait le concert de Youli Galpérine qui s’est tenu le 10 décembre à Paris dans la salle confortable et élégante du Cortot.
« L’Observateur Russe » était à la soirée.
Dédié aux deux cents ans de naissance de Lermontov, le concert était extraordinairement « littéraire », et sans doute était-ce le mérite de ces quatre cycles vocaux inspirés de poèmes de Sologoub, de Pouchkine, de Lermontov et d’Yunna Moritz.
Beaucoup de compositeurs ont écrit des chansons sur les poèmes de ces poètes, beaucoup connaissent la « Déclaration » de Glinka, « Je bois à la santé de Marie » de Dargomyjski, il faut donc avoir du courage et de la confiance en soi pour ne pas avoir peur de se lancer sur les mêmes textes comme l’a fait brillamment Youli Galpérine. Ses chansons sont fraîches et lumineuses, la musique moderne, le texte sonne si naturellement, on dirait qu’il n’a toujours sonné qu’avec cette musique (et cela ne rappelle surtout pas ses grands prédécesseurs).
Tout a commencé avec un cycle vocal sur les poèmes de Yunna Moritz (Op 17 n°1). Par la force de l’intervention et par la dramatisation du cycle de chansons d’amour, cela rappelle un autre héritier des chansons d’amours russes classiques, Gueorgui Sviridov (malheureusement peu connu). Les « Hirondelle, petite hirondelle », « Ecoute, toi, oiseau » et d’autres poèmes compliqués et émouvants de Moritz ne deviennent pas moins émouvants, touchant par la musique directement l’âme. Et d’ailleurs, comment ne pas remarquer la forte et profonde voix de soprano et la déclamation délicieuse de Ludmila Slepneva (artiste magnifique en plus) ?
Un autre cycle « Réminiscences » (Op 38 n°1) sur les poèmes de Sologoub, aussi exécuté par Slepneva n’est pas moins lyrique et naturel. Très diversifié. Voici l’impressionnisme musical – dans la ligne droite de Debussy et Ravel – « Sur les ailes ardentes des rêves… » dans le style énergique broussailleux du début du 20ème siècle (la tradition de Prokofiev) – « Le malheur », déclamation rigoureuse dans le style de Moussorgski – « N’être personne, n’être rien », à nouveau un style lyrique dans la meilleure tradition de Sviridov – « Sonnet » et d’autres (ces derniers dans le style brillant et personnel du compositeur).
On dit que le plus haut niveau de maîtrise d’un artiste est atteint quand son œuvre semble simple, alors que la simplicité est ce qui est le plus difficile dans l’art. Ainsi je compare ce que j’ai entendu avec les créations de Sviridov, dont les romances, les chansons et les chorales, sont si simples qu’elles semblent souvent faire partie du folklore, mais dont la justesse contraint la salle à pleurer (pourtant très difficile pour celui qui exécute l’œuvre), Galpérine accomplit cela aussi, on dirait qu’il ressent et entend de la même façon.
Le troisième cycle fut trois chansons d’amour sur des paroles de Lermontov (Op 3 n°2), exécutée par la belle mezzo Victoria Scherechevskaya, dont la plus mémorable fut la seconde « Un petit nuage doré endormi », sans accompagnements, comme les chansons populaires.
Le quatrième et dernier cycle vocal fut « Déclarations d’amour » (Op 15 n°2) sur les poèmes de Pouchkine, exécuté par le maestro lui-même au piano et par le charismatique et plaisant baryton, artiste populaire de Russie, Vladimir Chernov. Ce fut une véritable célébration, qui mieux que l’auteur connaît sa musique personnelle, qui la jouera de façon plus éloquente ? Avec le compositeur, vous plongez encore plus profondément dans la musique, écoutant les mots du texte, les prononçant silencieusement en même temps que le chant de Chernov (non pour l’aider mais par empathie).
Voici un duo véritablement harmonieux : le compositeur est un pianiste brillant et l’acteur est un chanteur virtuose. Ce n’est pas un cycle, mais un spectacle. Les lignes parfaites de Pouchkine, bien sûr, sont là pour enlever toutes les chances au spectateur de rester impassible. Et pas seulement les lignes célèbres : « Toi et Vous », « Je bois à la santé de Marie », « Je vous aime, même si je rage », etc.
La salle a trépigné, applaudi et offert des fleurs.
Selon les mots du violoniste Alexis Galpérine dans cette pièce on peut entendre « le temps, qui coule désordonné, mais qui peu à peu se tranquillise » (les exécutants étant Alexis Galpérine et Sébastien Hurtaud). La deuxième pièce instrumentale fut le triptyque pour piano de « La Rose de Jéricho » (de Bounine), pièce douce et impressionniste, embaumant la salle, exécutée par « un pianiste avec tablette » (voilà le progrès technologique !), David Lively.
Etonnamment, « le parisien russe » Youli Galpérine est un magicien qui a donné au public une véritable célébration de la poésie et musique russe.
Cette soirée a bénéficié du soutien du Centre de Russie pour la Science et la Culture à Paris.
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