Il faut bien l'avouer, pour ceux qui sont nés en URSS, le caviar n'était pas un mets particulièrement rare sur la table du Nouvel an. Mais en France, le mot caviar évoque un mets exceptionnel, raffiné et hors de portée du commun des mortels.

Malgré le fait que les œufs d'esturgeon (caviar) soient aujourd'hui considérés par tous les grands chefs autour du monde comme l'un des aliments les plus prestigieux de la cuisine gastronomique, sa popularité hors de la Russie est relativement récente. A titre d'exemple, on peut citer une anecdote historique.

Pierre le Grand fait parvenir du caviar au roi Louis XV, à Versailles. A peine ce dernier l'a-t-il porté à sa bouche qu'il le recrache sur le tapis.

En Europe, le caviar gardera longtemps cette image peu attrayante.

Le terme caviar a été popularisé par le célèbre chef français Marie-Antoine Carême, cuisinier, entre autres, du baron de Rothschild et du prince régent d'Angleterre. À l'invitation du prince Piotr Bagration, il travaille quelques mois en Russie. Dans une lettre, il décrit les caractéristiques de la cuisine russe en détail et exprime toute son admiration pour les plats de poisson, et en particulier pour le caviar. « C'est ainsi qu'a Astrakan, on appelle les œufs d'esturgeons », écrit-il.

C'est seulement au XXe siècle que les Européens commencent réellement à apprécier le caviar. Nous devons aux frères Petrossian la popularisation du caviar en France, puis dans toute l'Europe. Ils fuient le génocide arménien et la révolution russe pour se réfugier à Paris. Profitant de l'engouement pour la Russie en Europe, les deux frères décident de tenter leur chance dans le commerce du caviar. En 1920, ils fondent la société Petrossian et, grâce à l'aide d'un employé de l'ambassade soviétique, ils parviennent à obtenir un quasi-monopole sur l'expédition de caviar depuis Bakou.

Mouchegh Petrossian épousera Irina, la fille de Lazare Mailoff, qui détient depuis 1815 des concessions de pêche sur la mer Caspienne. Armen Petrossian, l'un des quatre enfants de Mouchegh et d'Irina, dirige aujourd'hui la maison familiale.

Afin de convaincre son premier client, le propriétaire du célèbre hôtel Ritz à Paris, de proposer du caviar au menu du restaurant, les Petrossian lui assurent que le caviar a des propriétés aphrodisiaques.

Ils parviennent ainsi à gagner des clients fidèles dans les couches supérieures de la société française. De nombreuses dégustations organisées par les frères Petrossian lors de salons gastronomiques et de fêtes privées élitistes ont joué en faveur de la popularisation du caviar.

Longtemps, la société familiale a dû son succès au caviar, au saumon fumé, et au crabe royal en provenance de l'URSS. L'effondrement de l'Union soviétique a obligé Armen Petrossian, actuel dirigeant de la société, à changer de stratégie en raison de la forte baisse de qualité des produits et du manque de fiabilité des intermédiaires. Puis la société s'est mise à importer principalement du caviar iranien.

Aujourd'hui, elle achète ses matières premières dans le monde entier – en Amérique, en France, en Italie, en Chine – pourvu que la qualité soit au rendez-vous. Puis la matière première est travaillée dans les ateliers de l'entreprise en utilisant le savoir-faire acquis depuis près d'un siècle, et est conditionné dans les célèbres boîtes de la marque au voilier.
Pour garantir la qualité du produit, les Petrossian ont introduit une classification particulière du caviar en fonction de paramètres tels que le type d'esturgeon, son âge, la couleur et la taille des oeufs.

Le caviar Petrossian le plus prestigieux – le Golden caviar – est un caviar rare de béluga albinos dont la couleur est dorée et ambrée.

Le caviar fermier Petrossian constitue 15% du marché, ce qui fait de la société le premier producteur mondial dans le secteur des produit fermiers.

Pour la production du non moins célèbre saumon fumé Petrossian, la société a construit son propre fumoir, dans lequel le poisson est fumé comme au siècle dernier, et le secret de cette technique ancestrale est bien gardé.

Si vous vous baladez dans le 7e arrondissement, vous devez absolument – ne serait-ce que pour le coup d'oeil — chercher la boutique Petrossian, presque centenaire, et le restaurant éponyme. La boutique propose de la truite fumée, de l'anguille, de l'esturgeon, du hareng et d'autres mets iodés, y compris du crabe royal du Kamtchatka, dont la société Petrossian a obtenu la vente exclusive. Et bien sûr, vous y trouverez plusieurs dizaines de variétés de caviar.

En 2002, les Petrossian ont ouvert un restaurant au deuxième étage de la boutique, qui s'est vu décerner une étoile Michelin quatre ans plus tard. La cuisine y est française, mais des notes russes sont présentes dans les noms des plats. Et, bien sûr, le caviar est au menu, comme plat à part (assiette de dégustation avec trois sortes de caviar), ou comme entrée ou plat chaud. On peut y manger de l'esturgeon, quasiment absent de la cuisine française, et pour le dessert, une vatrouchka (gâteau à base de fromage blanc) dans un soufflé chaud, un gâteau Napoléon ou une Pavlova. Et pour accompagner le tout, une vodka maison glacée vous sera offerte.

Photo: www.petrossian.fr