La Guerre oubliée
Un groupe surprenant de personnes s’est réuni ce 18 novembre au Centre de Russie pour la Science et la Culture à Paris (CRSC), pour parler (et écouter parler) de la Première Guerre mondiale. La Première Guerre mondiale, « la Grande Guerre » comme disent les Français mais aussi la « Guerre oubliée », bien qu’il soit étrange d’entendre cela de la bouche de spécialistes français.
A la table ronde, menée avec la participation d’un groupe d’historiens et de spécialistes de France et de Russie, la Première Guerre mondiale est éclairée d’une perspective tout à fait inhabituelle. Ici, on discute du corps expéditionnaire de Russie, ayant mis le pied à terre à Marseille le 20 avril 1916 (après avoir quitté Moscou et traversé la Sibérie, le Japon et le canal de Suez) et de la façon dont il a été accueilli. Ce n’est pas un historien mais un écrivain, Gilbert Cahen qui raconte, comment grâce à une enquête et une correspondance épistolaire longue et désespérée, il a trouvé des informations sur son grand-père, le soldat russe Anissim Ilitch Otmakhov, membre du corps, ayant quitté la France après la Révolution de 1917.
En général dans les discussions sur la guerre, prédomine soit la sentimentalité, soit l’animosité, soit un pathos pompeux. Au CRSC, une dizaine de savants se sont réunis simplement pour en parler afin de rendre hommage et commémorer.
Il ranima l'espoir, et dans l'espoir il finit,
au-dessus de la mort, au-dessus de la peur, au-dessus du destin élevé,
hors de la ruine, hors de la vie, vers une durable gloire…
Le public réuni est constitué de français et de russes francophones (la discussion se déroulant en français), en moyenne des dames et des messieurs « de quarante ans », calmes et intelligents. L’hôtel élégant « noble » du Centre Russe, les miroirs et le parquet, la salle de conférence bleue azur, les journalistes, l’exposition des livres sur la Guerre, le métissage des langues, les auditeurs silencieux, les participants aux tables rondes – voilà comment se présentait cette réunion.
Pendant la table ronde, on développa plus d’une fois l’idée qu’a énoncée en premier l’invité russe de la table, André Sorokine : « La Première Guerre mondiale est une « Guerre oubliée », paradoxalement bannie de la mémoire du peuple russe. » Le coupable est, en particulier, l’héritage de l’époque soviétique qui a conduit à la falsification historique. Ce faisant, André Sorokine considère que la majorité des problèmes actuels (dont parmi eux le conflit ukrainien) prennent leur source précisément dans les événements de 1917—1918. En parlant de la « Guerre oubliée », l’historien Jean-Pierre Arrignon s’étonne du fait qu’il existe peu de mémoriaux de cette guerre en territoire russe (il a même une opinion plus tranchée, il dit qu’il n’en existe aucun).
Les arguments de Sorokine et la présentation d’une nouvelle encyclopédie « La Russie pendant la Première Guerre mondiale », l’enthousiasme d’Arrignon devant la publication de cartes postales militaires russes peuvent se résumer par la phrase de l’historien Jean-Paul Bled : « De la guerre oubliée à la guerre retrouvée ».
Les spécialistes invités russes ont discuté avec enthousiasme des problèmes et des enjeux historiques globaux. L’historien Victor Biézotosny a fait le parallèle entre la guerre de 1812 et la guerre de 1914, argumentant sur la façon dont les Français, autrefois ennemis, étaient devenus l’allié majeur de la Russie, mais aussi sur les deux vagues d’émigrations « croisées » (les royalistes français fuyaient le régime Napoléonien pour la Russie, alors que cent ans plus tard « l’émigration Blanche » au début du XXème cherchait à atteindre Paris).
Les invités français se sont plongés dans les détails : Jean-Paul Bled a raconté le début de la guerre, les relations russo-austro-hongroise et les guerres balkaniques ; Stéphanie Couriaud a présenté un récapitulatif chronologique des événements liés à la Russie pendant la période 1914—1917, et Jean-Pierre Arrignon a fait la lumière sur les événements liés au corps expéditionnaire russe (un récit d’ailleurs très vivant et intéressant).
A côté de la généralisation et des détails, il y avait la place pour des simples histoires réalistes sur la guerre grâce à la participation de soi-disant « témoins », mais qui sont plutôt des descendants français de soldats russes : Gilbert Cahen (narrant avec un cynisme stupéfiant comment il a retrouvé son grand-père, parlant de ses recherches et du livre qu’il lui a consacrés), Ekaterina Lvoff, et d’autres encore.
La polémique de cette table ronde s’est curieusement souvenue du roman « Le Docteur Jivago » de Pasternak, cependant ce qui en ressortait était très… français.
Complétant l’événement, une petite exposition de photographies et de documents sur « la Guerre oubliée » (la réplique d’une grande exposition « La Première Guerre mondiale et la Douma », s’étant ouverte le 11 novembre dans le bâtiment de la Douma à Moscou).
Pendant « la troisième mi-temps » (des boissons et collations sont offertes aux participants), il était curieux d’entendre les avis des auditeurs français. Il semble que la majorité d’entre eux ait fait – au sujet de la révolution, du début de la guerre et du rôle de la Russie pendant la guerre – une découverte étonnante.
Bled avait donc vu juste : cette guerre est « la Guerre retrouvée » !
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Действительно, для нас, современных русских 1-я мировая война знакома мало, в основном по книгам, которые СССР не всегда легко было добыть. А сейчас конечно нет проблем, но интерес исчез. Как же здорово, что есть люди, посвятившие исследованию этой войны и время и силы, и оказывается, такие есть не только в России. Автору статьи крупно повезло оказаться на таком мероприятии и окунуться в живую дискуссию, в необычную атмосферу, которую Мария ярко и эмоционально нам представила. Спасибо!
Кстати, и об этом шла речь с 11 до 16 ноября на международной конференции на тему «Россия в Первой мировой войне;анализ сквозь призму письменных источников и произведений искусства» в Ницце. Фильм «Забытая война» демонстрировалась студентам руссистам и историкам на филфаке, а исследователи из Франции, России и Израиля обменивались интереснейшими докладами. Была еще маленькая выставка книг и фотографий, концерты, посвященные памяти Великой войны, Русская делегация участвовала в церемонии возложения венков 11 ноября.