« Ce n'est pas ce que vous croyez !.. » Le Kâma-Sûtra à la Pinacothèque de Paris
... Connaissez-vous le Kâma-Sûtra ? Oh non, vous ne le connaissez pas ! C'est aujourd'hui la Pinacothèque de Paris qui présente cette « science de la tendre passion*» d'origine indienne [* NdT : Référence au roman en vers Eugène Onéguine de Pouchkine]. Une exposition à sensations s'y tient jusqu'au 11 janvier 2015 : « Le Kâma-Sûtra : spiritualité et érotisme dans l'art indien ».
Ses organisateurs, le directeur de la Pinacothèque Marc Restellini et la commissaire d'exposition indienne Alka Panda donnent à voir au public éclairé des sculptures, des miniatures, des fétiches, plus de 320 œuvres en tout.
Ce sont le collectionneur indien Arvind Singh Mewar, maharadjah d'Udaipur, ainsi que Michel Sabatier et le couple Beroz, propriétaires des plus grandes collections d'Europe, qui ont confié à l'exposition la majorité des pièces.
Il va sans dire que les commissaires se sont efforcés de rendre l'exposition «inoffensive », afin de prouver à un public guindé que non, le « Kâma-Sûtra » n'est pas du tout un traité licencieux, mais un manuel de formation sacré, tout entier consacré à l'« instinct primaire » : l'aspiration à poursuivre la race humaine.
Ватьсьяяна считал, что в сексе как таковом нет ничего предосудительного, но заниматься им легкомысленно – грешно.
Nous lisons sur Wikipédia :
Le Kâma-Sûtra est un traité de l'Inde ancienne consacré au thème du kâma, c'est-à-dire de la sphère de la vie sensible, émotionnelle, du désir et de l'amour physique. Le nom entier de l'œuvre est « Kâma-Sûtra Vâtsyâyana » (« Aphorismes de Vâtsyâyana sur le kâma »). On suppose que l'auteur, le brahmane Vâtsyâyana, aurait vécu aux IIIe — IVe siècles ap. J.C., selon toute apparence dans l'empire kouchan.
Vâtsyâyana considérait que rien n'est répréhensible en soi dans le sexe, mais que le pratiquer de manière frivole est une erreur* [* NdT : L'hindouisme ne souscrit pas à la notion chrétienne de « péché » ; il parle plus volontiers d'une erreur, dont il est nécessaire de parvenir à la compréhension, et qui entraîne des conséquences négatives pour le karma].
En outre, contre l'avis répandu chez les Européens, seule la cinquième partie est véritablement consacrée aux pratiques sexuelles, les positions ne représentant elles-mêmes que trois chapitres pour une longueur totale d'un peu plus d'une centaine de sûtras (d'aphorismes). Dans les autres parties, on parle de la manière d'être un bon citoyen, et des considérations sont proposées relativement aux relations entre les hommes et les femmes.
«Это не то, что вы думаете. Все же не рекомендуем родителям подводить сюда несовершеннолетних детей».
Le « Kâma-Sûtra » appelle l'acte sexuel « union divine » et donne huit manières de faire l'amour pour chacune des huit positions décrites. Celles-ci sont appelées dans le livre « les 64 arts », regroupés en sept parties : « Préambule », « De l'union sexuelle », « De l'acquisition d'une épouse », « De l'épouse », « Des épouses d'autrui et de la manière de les séduire » (sic!), « Des courtisanes » (re-sic!) et enfin une « leçon secrète » : les moyens d'exciter le désir du partenaire.
Ce sont ces parties qui ont défini l'organisation de l'exposition dans la Pinacothèque, où le flot des visiteurs s'écoule posément à travers les salles pourvues de couchettes en bois. Les visiteurs, à moitié allongés sur celles-ci, contemplent les pièces exposées. Sur certains de ces couchettes, on peut lire une inscription avertissant :
« Ce n'est pas ce que vous croyez. Toutefois, nous recommandons aux parents ne pas amener ici leurs enfants mineurs ».
Beaucoup de jeunes couples sont présents dans le musée. Tenant leur cavalier par le doigt, des jeunes filles gloussent, pendant que leur compagnon rigolent franchement. Comment ne se réjouiraient-ils pas ? Ces pièces exposées leur servent d'illustration visuelle du postulat selon lequel « en amour, tous les moyens sont bons ».
Un panneau didactique est exposé, qui montre des ébauches représentant plusieurs figures. Sur ce panneau, ce sont 84 asan (positions) qui sont présentées, et on en donne toutes les étapes, tous les stades des caresses, du congrès, des étreintes, des baisers, des effleurements, ainsi que du sexe oral (auparishtaka)... Et bien plus encore.
Un fait étonnant (à première vue) : ce n'est pas la jeunesse qui constitue le « noyau » des visiteurs, mais le « troisième », voire le « quatrième » âge ! Des ladies aux cheveux gris, d'élégants gentlemen, à moitié courbés, s'appuyant sur des cannes ou des béquilles, voire assis dans une chaise roulante, examinent les « joyeuses images » sous toutes les coutures !
Des dames mûres, collier de perle sur leur carré « Hermès », soupirent à la dérobée, dirigeant des regards languissants sur les « bâtons de lumière »: les lingams. Oh, ces lingams ! Quelle profusion ! En bronze, en ivoire d'éléphant, en porphyre, en cristal des montagnes; moulés, frisés, lourds, larges. Il y en a même à trois têtes : qu'est-ce que Zmeï Gorynytch* à côté ! [* NdT : Personnage des bylines, récits épiques de la Rus' antique, et des contes russes traditionnels. Il s'agit d'un dragon à plusieurs têtes, capable de se métamorphoser]
Pas besoin de jouer des coudes dans les salles consacrées aux « assiduités et au mariage » ! Car ici, en contradiction avec les critères moraux occidentaux, un registre détaillé des relations avant le mariage est donné. Leur science hindouiste de l'amour le recommande fortement, afin que les jeunes puissent « s'y frotter » !
Comment choisir une épouse ?
« On ne doit pas épouser une fille qui dort, qui pleure ou qui est sortie de la maison au moment de la demande en mariage » enseigne le Kâma-Sûtra. « On doit éviter celle qui porte un nom malsonnant, celle qui est tenue cachée, celle qui a le narine relevée, celle qui a la peau couperosée, celle qui a des formes de garçon, celle qui est courbée, celle qui a les cuisses tordues, celle qui a le front proéminent, celle qui est muette, celle qui est plus jeune de moins de trois ans, celle qui est sujette à la transpiration. De même, qu'on ne demande pas en mariage celle qui porte le nom d'une rivière, le nom d'un arbre et celle dont le nom se termine par un «l» ou un «r» ».
Mais comment doit être l'épouse ? Pour parvenir à se marier, elle doit savoir chanter, danser, coudre, broder, contenter son mari : en un mot, exceller dans la science conjugale, et pas seulement...
Si on lapidait la femme infidèle dans la Judée antique, le Kâma-Sûtra, lui, porte un regard indulgent sur l'adultère, et donne même des recettes pour séduire les maris d'autrui et des procédés pour tromper le sien. Un espace particulier dans la Pinacothèque est dédié à ce thème enjoué. Il ne s'agit pas d'images de série X, tant s'en faut, mais de bas-reliefs d'église, les plus sacrés qui soient. Sur l'un d'eux, par exemple, une épouse « exemplaire » est tranquillement assise sur le lit conjugal près de son époux serein. Mais sous le matelas de la matrone, son amant s'est établi, et il ne la laisse aucunement se tranquilliser !
Quant aux maris indiens, ils ne se refusent pas de rendre visite à des courtisanes de différentes sortes. « La maquerelle, la servante, la femme dissolue, la danseuse, l'ouvrière, la femme qui a quitté sa famille, la femme qui vit sur sa beauté, la courtisane de profession » : le Kâma-Sütra en énumère les différents types (dans la sixième partie). « Toutes ces sortes de courtisanes sont en relation avec différentes sortes d’hommes, et elles doivent songer aux moyens d’en tirer de l’argent, de leur plaire, de s’en séparer, et de se remettre avec eux, prendre en considération les gains et pertes...»
Une autre surprise, pour moi en tout cas : il se trouve que la polygynie n'était pas interdite chez les Hindous ; il est vrai, seulement pour l'aristocratie des castes supérieures : les maharadjas. Dans la salle de cinéma de la Pinacothèque, les images se succèdent : les héros, dans un palais, après un salut courtois, cassent littéralement leur amante en deux, et « les boucles » de celle-ci « frémissent de passion ».
C'est dire que le tabou, ainsi qu'on le comprend, n'existe pas dans le Kâma-Sûtra. Sur les murs de la Pinacothèque, il y a toute une ménagerie de réjouissances sexuelles ! Des hommes avec des chèvres et des juments, des femmes dans les étreintes de singes ou d'âne (ave, Apulée !). Un éléphant à l'élégance monumentale pèse sur une belle femme. Mais ne pensez à rien de tel : ces représentations sont tout simplement des instructions concernant des positions spécifiques pour les impétrants aux universités de l'amour, dont la position du bâillement, du crabe, du clou... et d'autres. Mais, et cet éléphant ? Du calme, citoyens ! Il ne s'agit pas tout à fait d'un éléphant, mais de Ganesh, divinité de la poésie. Près de lui : Shiva et Vishnu dans une extase divine, la bonne Parvati et la menaçante Kali fécondent la nature, leur joie et leur colère font trembler les montagnes et ébranlent les collines, ils jouent au Soleil et à la Lune. Car pour les dieux de l'Inde antique, les sphères de l'âme et du corps forment une unité.
En sortant de l'exposition « le Kâma-Sûtra : spiritualité et érotisme dans l'art indien », on ressent des sentiments équivoques. Sans doute, la beauté de ce qu'on y a vu nous charme (bien que je préfère, personnellement, les fresques de Pompéi). Mais d'un autre côté, les pièces « chaudes » exposées (selon l'interprétation européenne) dans la Pinacothèque peuvent partiellement effrayer, et même détourner les naturels impressionnables de l'acte sacralisé : c'est que dans notre modèle comportemental judéo-chrétien, le sexe pour le sexe est un péché. Et c'est ainsi même pour les athées, même si nous n'en avons pas conscience.
En Occident, la certitude de la paternité a toujours été importante (et restera telle), la certitude que le fils est né du père légitime au sein d'un mariage légitime. Une autre différence radicale réside dans la conception même des relations entre l'homme et la femme dans le monde indien et le monde occidental. L'idéal occidental contemporain de l'homme, c'est le surhomme, le séducteur, le James Bond, qui doit amener la femme à l'extase. Mais en Inde, c'est précisément la femme qui doit « travailler » et amener l'homme à l'extase.
La saison 2014—2015 d'expositions parisienne bat décidément des records concernant le thème sexuel ! Après le Kâma-Sûtra, c'est une exposition d'estampes japonaises qui est attendue à partir du 22 janvier à la Pinacothèque du Musée parisien Guimet des arts asiatiques. En outre, du 14 octobre au 25 janvier, une rétrospective est ouverte au Musée d'Orsay, consacrée au 200e anniversaire de la mort du Marquis de Sade (né en 1814). C'est avec tristesse que nous notons que Jean-Jacques Pauvert, le légendaire éditeur des livres du « Divin Marquis », est décédé le samedi 27 septembre 2014 à l'âge de 88 ans, deux semaines avant l'exposition !
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