« Gloire a ma femme … »
L’exposition majeure de cette saison au Grand Palais est consacrée à l’œuvre de Niki de Saint Phalle (1930 – 2002). C’est une des femmes-artistes les plus célèbres de la deuxième moitié du XXème siècle, sculptrice de personnages monumentaux et de parcs, créatrice de collages, designer, réalisatrice de films, féministe passionnée, militante farouche contre toutes les injustices du monde.
Niki de Saint Phalle a commencé à créer, mouler des sculptures, faire des collages pour ne pas devenir folle… Tous ses sentiments, émotions, blessures, douleurs, angoisses, sa méchanceté, ses désaccords avec l’extériorité de son monde, elle les a déversés sur le papier, mêlés au plâtre, exprimés sur le carton et elle en a ressenti du soulagement. C’était un exécutoire, une thérapie. « Mon enfance était douloureuse, solitaire et difficile, — se souvient Niki des décennies plus tard, — et alors je m’échappais dans un monde merveilleux. Ça m’a donné une structure pour toute ma vie. »
Dans sa famille d’aristocrates franco-américains, l’atmosphère était si insupportable que deux des cinq enfants de la famille ont mis fin à leurs jours. Niki, à 22 ans, dans un état de sévère dépression s’est retrouvée dans une clinique psychiatrique à Nice. Là elle a ressenti un besoin incroyable de dessiner et à commencer à créer ses collages et des peintures énormes dans le style du primitivisme. Cela n’a pas seulement guéri une jeune femme, mère de deux enfants mais aussi révélé le talent de l’artiste Niki de Saint Phalle. Les premiers travaux de Niki ont immédiatement attiré l’attention des spécialistes sur elle, ils lui ont conseillé de conserver sa spontanéité d’autodidacte et de continuer dans le même style naïf, enfantin avec des couleurs vives.
L’exposition au Grand Palais est construite par thème, et non par ordre chronologique. Cela peut être justifié du point de vue esthétique, mais à mon avis, cela empêche de comprendre le travail d’une artiste si complexe comme Niki de Saint Phalle, donc les créations sont étroitement liées à sa vie personnelle et aux évènements importants du monde.
Le thème « Les Tirs » est exposé presque à la fin de l’exposition, alors que Niki a commencé à « tirer sur l’art » dans sa jeunesse, immédiatement après avoir quitté son premier mari et ses enfants et s’être installée à Paris avec le sculpteur suisse Jean Tinguely. Jean aide Niki à croire en elle, à s’auto-affirmer dans l’art. Ils se soutiennent mutuellement l’un l’autre et créent des œuvres communes. Jean a aidé Niki à aménager les présentations des tirs. Sur un mur vertical, sont accrochés une toile, des objets divers et des poches remplies de peinture, tout est couvert d’un plâtre blanc immaculé.
Niki, mince et belle, vêtue d’une combinaison blanche, sous le regard d’un public assemblé, tire avec sa carabine, les peintures explosent et rendent multicolores la surface. Niki invite à participer au tir, ses amis, les artistes et tous les visiteurs. Ces actions attirent sur elle l’attention de la presse et du large public. Mais ce n’était pas le but principal de l’artiste. Elle avait besoin de la fusillade de toiles pour se libérer de l’agressivité accumulée, pour régler ses comptes avec tout ce qui l’empêchait de vivre et de créer librement. Elle tirait sur son père, sur tous les hommes.
« Я очень рано поняла, что мужчины имеют власть... Я думала украсть у них этот огонь». Она стреляла в свою мать и в таких как она безропотных женщин. «Ребенком я не хотела быть похожей на мать, на бабушку, на тетей, на подруг мамы, на всех этих несчастных. Я не хотела повторять их путь домашней хозяйки». Она стреляла в себя. «Как многие девушки из приличных семей нас воспитывали с идеей, что надо рано выскочить замуж».
« Je compris très tôt que les hommes avaient le pouvoir et ce pouvoir, je le voulais. Oui, je leur volerai le feu. » Elle tirait sur sa mère et sur toutes les femmes soumises comme elle. « Enfant, je ne pouvais pas m’identifier à ma mère, à ma grand-mère, à mes tantes ou aux amies de ma mère. Un petit groupe plutôt malheureux. Je ne voulais pas devenir comme elles, les gardiennes du foyer. » Elle tirait sur elle. « Comme la plupart des filles de bonne famille, j’ai été élevée pour le marché du mariage… Toutes les filles de ma génération étaient élevées dans l’idée qu’il fallait se marier et se marier jeune. »
Elle tirait sur la société américaine, où dominaient l’hypocrisie, le puritanisme et le racisme. Elle tirait sur l’Eglise, en se rappelant le temps passé dans une école catholique. Mais elle a souligné que jamais elle ne tirait sur Dieu, mais seulement sur l’Eglise, c’était « un cri de rage contre toutes les horreurs que nous avons commises au nom de la religion ».
Une des dernières créations de Niki, opérées en 1962, à l’aide des tirs est « King Kong ». Sur une toile blanche tendue, est représentée une ville avec des gratte-ciels, que bombarde l’ennemi et où les avions se crashent sur les tours. Est-ce que Niki avait le don de Cassandre et pouvait voir la tragédie de New York 40 ans auparavant, comme beaucoup le pensent ? Je pense que Niki a directement suivi la logique de Tchékhov – si dans le premier acte une arme à feu est suspendue, dans le dernier acte elle tire immanquablement.
«Коммунизм и капитализм проиграли. Я думаю, что настало время нового общества – матриархального. Вы верите, что люди будут продолжать умирать от голода, если женщины вмешаются в историю? Женщины, которые производят на свет детей, дарят жизнь. Я не могу запретить себе думать, что они смогут сделать мир, где я бы была счастлива».
Elle a exprimé de façon très originale sa protestation contre les guerres, contre la course aux armements, en plaçant les masques de Khrouchtchev et de Kennedy dans une étreinte, dans un seul agglomérat.
« Communisme et capitalisme sont échoués. Je pense que le temps est venu d’une nouvelle société matriarcale. Vous croyez que les gens continueraient à mourir de faim si les femmes s’en mêlaient ? Les femmes qui mettent au monde ont cette fonction de donner la vie – je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elles pourraient faire un monde dans lequel je serais heureuse de vivre. »
Les tirs sur les œuvres n’étaient pas seulement pour Niki un moyen d’exprimer la protestation mais une recherche des chemins inempruntés dans l’art. « J’ai tiré la peinture parce que j’aimais voir le tableau saigner et mourir. Un assassinat sans victime. La peinture pleure, la peinture est morte. Elle renait. »
Grâce à ces présentations, Niki a été reconnue par les professionnelles et classée dans la catégorie des « nouveaux réalistes ». C’était la seule femme qui était admise dans le monde des artistes de son temps. Après les tirs, qui, selon Niki, étaient des actes de provocation, elle a cherché un moyen plus profond d’exprimer ses idées. Elle a ainsi créé la série d’œuvres « Les Epouses », des sculptures silencieuses, des épouses dociles impersonnelles. « Les Naissances » sont des personnages serrant les dents, se tordant de douleurs, mais consentant à souffrir tous les tourments de l’accouchement. « Après les Tirs, la colère était partie mais restait la souffrance. Puis la souffrance est partie et je me suis retrouvée dans l’atelier à faire des créatures joyeuses à la gloire de la femme. » Ainsi Niki s’est lancée dans la série des « Nanas », des figures de femmes tournoyantes entières, amusantes, joviales, peintes de manière enfantine avec des couleurs vives, ou des gigantesques statues, semblables à la déesse Mère du temps du matriarcat apportant à la sculptrice l’apogée de sa célébrité.
Enfin, Niki commença à réaliser un vieux rêve. En 1955, quand elle s’est rendue au parc Güell à Barcelone, créé par Antoni Gaudi, elle a eu comme une percée d’un faisceau de lumière qui lui ordonnait de faire quelque chose : « J’ai eu l’impression qu’un rayon de lumière me frappait et m’ordonnait : ‘Tu dois faire quelque chose de semblable un jour ! Tu dois réaliser un jardin de joie où les gens se sentiront heureux. Tel est ton destin ! ».
« Ce jour-là, ma vie a changé. Je me suis dit qu’un jour, moi aussi, je construirai un jardin de bonheur. Je voyais les mères avec leurs enfants, je sentais un air de liberté, les gens semblaient avoir laissé loin les soucis de leur vie quotidienne. »
En 1966, Niki a créé à Stockholm une sculpture gigantesque, une maison en forme de femme allongée, où il est possible d’aller voir un film. Elle a construit des parcs, des plaines de jeu pour enfants dans divers pays. Son bébé le plus imposant est le Jardin du Tarot en Toscane que Niki a créé avec ses propres moyens de 1979 à 1993. Ce sont 22 figures monumentales, symbolisant les arcanes supérieures du Tarot, à travers lesquelles on peut se promener, jouer, toucher à tout, se détendre. Niki a investi toute son âme, ses forces et sa santé dans ce parc insolite avec l’espoir que ses créations changeront quelque chose chez tous ceux qui les voient. Niki voulait offrir son art à tous et particulièrement aux enfants.
…Auparavant je ne savais pas que les dispositifs de la Fontaine dans le parc Stravinsky à côté du centre Pompidou, avaient été créés par Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely, mais à chaque fois je ne pouvais pas m’empêcher de m’arrêter et de sourire à la vue de ces personnages multicolores tournoyants.
Niki a réalisé son rêve. Ses sculptures et ses jardins nous détournent de nos soucis quotidiens et donnent au monde une pointe un peu plus claire et heureuse.
Jusqu’au 2 février 2015
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Ники де Сент Фалль не сублимиреут банальность. Здесь дело в другом: она борется против Искусства (с большой буквы!) — как боролся весь авангард, начиная с Малевича. Ведь у «Черного квадрата» налицо все элементы картины — полотно, подрамник, краска — только не сама картина.
Статья в РО- пресная жвачка.
Superbe article! Hochetsya srazu poiti na vystavku!
Не думаю, что за художника нужно объяснять, почему он делает именно так и для чего именно. Большинство зрителей никогда не имеют возможность опираться на такие подсказки (которые и сами по себе не всегда неоспоримы) и просто смотрят и оценивают по собственной шкале понимания. Понимаю, что в искусстве часто свита (то бишь, критика) делает короля. Но это — уже другая тема... Судя по иллюстрациям лично для меня все это — скорее декоративные, чем информативные элементы. Они тоже имеют право на жизнь без всяких объяснений (мне лично нравятся!)... Царапнуло «матерьми»...
Я не критик, но статья поразила простотой описания творчества Ники. Крик души художницы, женщины, протестующей против всего плохого и всего мужского. Может быть, нужно быть немного сумасшедшей, немного сумасбродной, чтобы создавать такие необычные вещи. Большое спасибо автору! Продолжайте в том же духе, а мы будем и дальше наслаждаться чтением.
Статья хорошая , даже очень. Написана с душой и любовью к творчесту художницы.
Просто нужно видеть произведения этой Ники. Я была в парке Güell в Барселоне — красиво , но тоже не все можно понять и принять .
В Тоскане я не была , но если поеду туда то обязательно зайду в парк Таро , полюбуюсь произведением Ники !
Спасибо за статью. Получается, что мы некоторые ее работы знаем, видели и они запоминаются, но не знали самого художника — Ники де Сан Фалль. Наверное, так и должны уходить агрессия, злоба, боль через творчество, освобождая человека от чего-то чуждого ему, и при этом дарить людям впечатления, новые эмоции и давать пищу для размышлений. Госпожа Мариас, новых творческих успехов в Новом Году.
Спасибо всем за ваши отклики, такие разные и интересные, которые необходимо автору, чтобы идти дальше. Спасибо Дине А, она правильно поняла именно ту основную мысль, которую я пыталась выразить. Действительно, большой художник не нуждается в объяснениях его работ. Но именно, узнав подробности жизни Ники, я поняла, что её работы нельзя отделить от того, что происходило в её жизни. Меня прежде всего поразил сам персонаж, эта удивительно сильная женщина и все, что она говорила о себе и о своих работах, т.к. на выставке очень много видеокадров, где можно её увидеть и послушать. В своих воспоминаниях она высказала такую мысль, что если б она не связала свою жизнь с искусством, она могла бы стать террористкой. Это меня поразило, и я подумала, что это очень сильное подтверждение идеи о том, что искусство — это сила. И мне хотелось вспомнить ахматовские слова: «когда б вы знали, из какого сора рождаются стихи, не ведая стыда...» Но размеры статьи определенные, поэтому еще много чего не вошло в статью, те, у кого есть возможность сходить и самому посмотреть выставку, нужно спешить, пока она не закрылась.
Очень интересная художница, я ничего о ней не знала, но фонтаны у Центра Помпиду запомнила. Они казались такими веселыми.
Сегодня жутковато читать про искусство со стрельбой, в Париже такое творится...
Вряд ли найдешь для послевоенного искусства прошлого века более эмблематичную фигуру, нежели Ники де Сент Фалль. По популярности она уступает разве что Пикассо, по эпатажности Энди Уорхоллу. Ее имидж «женщины-ребенка, порочного и невинного», глубоко въелся в коллективное сознание.
Подобно «собратьям в нигилизме», Ники против кунсткамеры — чванных храмов искусства. И если она издевается над чем-либо, то именно над музейностью и музеями ...куда тем не менее обречена была попасть.
Гуля привет! Я не буду профессионально оценивать твою статью. Я просто горжусь, что Наша Гуля стала профессиональной журналисткой! Мы когда-то вместе постигали первые практические азы газетной журналистики. А теперь я читаю твои завораживающие публикации. Спасибо тебе, Гуля!
Благодаря автору статьи узнал еще больше о феминизме и способах его изображения. С нетерпением жду матриархального общества, которое уже было описано у братьев Стругацких в «Улитка на склоне».