Gazdanov vu par Alexei Levshine
Le spectacle conçu par l’association moscovite artistique « le Carré bicolore » d’après l’œuvre de Gaito Gazdanov et Marina Tsvetaeva « Les Cygnes noirs » sera représenté les 13 et 14 février 2015 au théâtre parisien l’Atalante.
L’Observateur russe a eu la possibilité de s’entretenir avec l’un des metteurs en scène et participants du spectacle, Alexei Levshine, inspirateur engagé de cette réalisation.
Но есть ощущение, что эта страница не только перевернута, но уже и немного забыта. Потому что в России сейчас вспоминают только Набокова и все. Ну, еще Цветаева прочно вошла в сознание людей, но это не значит, что ее все читают и по-настоящему знают.
Наши соотечественники, не жившие за границей, многого не могут понять в этом укладе жизни, в поведении представителей русской диаспоры за рубежом.
L’Observateur russe : Alexei, ne pourriez-vous pas en préambule nous parler de la communauté artistique « Le Carré bicolore ». Quelles sont ses particularités et ses missions ?
Alexei Levshine : Arman Khatchatrian, Zakhar Khoungourev et moi-même avons créé le « Carré bicolore » en 2011. Actuellement cette communauté regroupe entre 20 et 30 personnes et ce nombre ne cesse de s’accroître. Nous la nommons nous-mêmes communauté artistique théâtrale. Des acteurs, des musiciens, des poètes et des artistes en font partie. Nous nous confrontons à toute forme de théâtre, soit sous la forme de spectacles, ou de performances artistiques, ou de lectures de poèmes ou de proses ou, enfin, de soirées musicales. La raison principale de l’existence du « Carré bicolore » est la suivante : imaginez-vous un carré divisé en cellules ; et je suis, supposons, l’une de ces cellules. Je suis détenteur d’un projet et chacun m’aide à le concrétiser. C’est la même chose pour toute autre partie de ce carré virtuel, lorsqu’une autre personne est l’instigatrice d’un projet, tous les autres participants se réunissent autour d’elle. Nous sommes tous « des maîtres pour chaque main » : nous sommes à la fois metteurs en scène, scénographes, et acteurs dans nos spectacles. Les étudiants des établissements supérieurs moscovites de théâtre participent très souvent à nos réalisations. Ce système d’organisation provient du problème économique de survie du théâtre à Moscou. Il existe très peu d’unions théâtrales pouvant se permettre un théâtre et un financement permanents.
OB : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le spectacle « Les Cygnes Noirs » que vous envisagez de jouer à Paris. De quoi s’agit-il ?
AL : Bien sûr. Je souhaiterais toutefois auparavant témoigner ma reconnaissance à Alain Barsacq (Alain-Alexis Barsacq est directeur du théâtre l’Atalante). Il est très important pour nous d’être reçus dans ce magnifique théâtre. Par ailleurs, Alain Barsacq manifeste une grande ouverture et beaucoup de curiosité envers le théâtre russe.
Concernant le spectacle, j’ai vécu longtemps à Paris et me suis toujours intéressé à l’histoire de l’émigration russe, sa culture, sa littérature et j’ai étudié l’histoire du théâtre russe d’émigration. J’ai lu avec frénésie Tsvetaieva, Remizov, Zamiatine et bien d’autres. Et je souhaitais témoigner de mon amour et de mon respect pour l’émigration russe, qui, à mon sens, a poursuivi le « siècle d’argent » de la culture russe. J’ai toutefois le sentiment que cette page, non seulement est tournée, mais qu’elle est également quelque peu oubliée. Car, aujourd’hui en Russie, on ne se souvient que de Nabokov. Il est vrai que Tsvetaieva est solidement ancrée dans la conscience des gens, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit lue et qu’on la connaisse vraiment. J’ai le sentiment qu’il existe une lacune, un vide qu’il est nécessaire de combler. C’est la raison pour laquelle nous espérons également jouer ce spectacle à Moscou.
Notre spectacle évoque un homme jeté dans le monde contemporain, entre différentes cultures dont chacune d’entre elle possède ses règles et usages. Le héros du récit « Les cygnes noirs » de Gaito Gazdanov, est un homme qui cherche toujours à trouver la réponse à la question s’il vaut la peine de vivre dans ce monde, lorsque on a quitté sa patrie, il n’aime personne réellement et toutes les règles existantes de vie ne lui conviennent absolument pas. Le narrateur, qui s’avère être, en quelque sorte, Gazdanov s’efforce de le convaincre que l’on peut quand même vivre, que la vie est intéressante. La révolte du héros principal Pavlov (dans la pièce, il est interprété par Arman Khatchatrian) réside dans le fait qu’il ne veut pas qu’on lui impose aucune règle, qu’on imagine la vie à sa place et qu’on lui dise à sa place ce qu’est Dieu.
OR : Si je comprends bien, il existe dans ce spectacle une résonnance sur la vie d’aujourd’hui ?
AL : Je considère que si une réalisation n’a aucune résonnance avec notre temps, alors le temps consacré à sa réalisation fut vain. On souhaite que notre travail ne soit pas dénué de sens et pour que cela soit le cas, il ne faut évoquer que ce qui nous interpelle. Le monde change, on ignore de quelle façon, d’ailleurs je ne souhaite pas évoquer ce sujet maintenant. Par contre, au cours du spectacle nous pourrons débattre de cette question.
Nous employons dans cette réalisation un style que je qualifie de réalisme métaphysique. Ce récit est, semble-t-il logique ; il n’est pas tout à fait réaliste cependant, c’est plutôt un souvenir, un rêve. Cela permet de jouer avec le temps avec une scénographie réduite à sa plus simple expression. Chaque chose proposée à l’acteur peut être interprétée à double sens. C’est-à-dire que chaque chose est ce qu’elle est ; cette dernière peut toutefois jouer un rôle symbolique et signifier quelque chose de totalement différent. C’est le cas, par exemple, d’une arme qui peut devenir du pinceau d’un artiste. Et pour le reste, nous sommes, comme auparavant un théâtre psychologique russe… avec des éléments relevant de l’absurde.
Le principal message de ce spectacle et de notre activité en général, est que l’individualité prédomine sur toute autre chose.
Le spectacle comporte une seconde partie réalisée d’après l’œuvre de Marina Tsvetaieva. Il s’agit du travail réalisé par Zakhar Khoungourev. Y sont interprétées des chansons de l’époque, des poèmes, des extraits de prose et de correspondance de la poétesse. Cela sera un feu d’artifice de poèmes et de chansons, une fête créative dans le monde des mots de Marina Tsvetaieva, une rencontre poétique avec cette dernière. Greta Chouchtchevitchouta, récemment diplômée du VGIK qui a étudié dans l’atelier du remarquable metteur en scène Serguei Soloviev interprète sur scène les élans et les joies de Tsvetaieva.
OB : S’agira-t-il de la première représentation du spectacle « Les Cygnes Noirs » ?
AL : Oui, sachant que nous aurons des spectateurs français, nous allons jouer Gazdanov en russe avec des sous-titres en français ; dans la seconde partie j’interviendrai en tant qu’acteur-interprète. Je réciterai les versions françaises des textes, puisque Tsvetaieva a été très bien traduite dans la langue française.
Il est difficile de prévoir la façon dont va évoluer le spectacle, lorsque nous le présenterons en Russie. Je sais seulement que la version sera un peu plus longue par la suite. Nous allons introduire un nouveau récit de Gazdanov dans une réalisation d’Arman Khatchatarian. Il me semble que la seconde partie sera modifiée à l’avenir. Sous sa forme actuelle, elle est davantage destinée à la diaspora russe et au spectateur français. Par ailleurs il existe cette notion dite de « commande tacite », la demande émanant du public. Et il est évident que le public russe réclamera quelque chose qui lui est inhérent.
Si le public russe à Paris trouve quelque chose de familier aux personnages de Gazdanov, ou de très similaire à sa vie, semblable à cette époque, par contre pour le citoyen vivant à Moscou et ne possédant pas d’expérience de vie à l’étranger, l’existence de ces personnages dans les rues de Paris peut lui paraitre incompréhensible. Nos compatriotes ne vivant pas à l’étranger peuvent ne pas comprendre grand-chose à cette façon de vivre et au comportement des représentants de la diaspora russe à l’étranger. Pour ces derniers nous serons ceux qui montreront pour la première fois le quotidien de l’émigration ; cela revêt aussi son importance.
OR : Et grâce à ce spectacle, vous donnerez la possibilité aux émigrants de se connaitre ?
AL : Il n’est pas tout à fait correct de les appeler des émigrants. Il s’agit de la diaspora russe à Paris. Ce spectacle est une déclaration d’amour à ceux qui, tout en vivant à l’étranger, continuent à avoir la foi en la culture russe. Leur permettre de mieux se connaitre ? Si ces derniers le souhaitent. Il est un fait que nos personnages ne sont ni très simples, ni très agréables. La diaspora russe souhaitera-t-elle se reconnaitre dans ces personnages errants, pitoyables et nonobstant de très belles personnes ? Je l’ignore.
Il ne faut pas également que le spectateur croie qu’il s’agisse de lui. C’est plutôt d’une histoire qui évoque tout un chacun. Nous sommes ces personnes, celles qui se cherchent et qui sont à la quête de Dieu en elles. C’est une histoire sur nous. Et espérons que le spectateur se retrouvera en elles.
Arman Khatchatarian, l’un des participants du « Carré bicolore » se joint à notre conversation.
AK : Dans ce spectacle j’interprète le rôle de Pavlov, le personnage central des « Cygnes Noirs ». Je souhaiterais que ce qui nous intéresse, ce ne soit pas tant le fait que Pavlov soit un émigrant, mais plutôt que bien que se trouvant physiquement à l’étranger, son âme soit restée en Russie. C’est-à-dire que, simultanément, il est parti, mais n’a pas pu partir. Quel est le personnage de la littérature russe qui soit le plus proche de lui ? Je pense que c’est Evgueni Oneguine.
AL : (rit, surpris) : Pourquoi ?
AK : (rit) Car là aussi, il s’agit d’une certaine émigration intérieure.
OR : Alexei, vous avez vécu longtemps en France. Est-ce que vous y avez encore des projets ?
AL : Je dirigeais à l’époque à Paris l’association « Neige d’été ». J’ai progressivement transféré « Neige d’été » à Moscou. Cette association ne mène plus aujourd’hui d’activité théâtrale et musicale. Elle a transféré ses pleins pouvoirs, son expérience artistique, ses relations professionnelles et ses intentions aux projets conjoints du « Carré bariolé ». Le transfert s’est opéré d’une communauté à une autre.
A l’époque, il m’arrivait de réunir parfois des artistes parisiens et moscovites. Il est d’ailleurs possible que nous organisions à l’avenir une pareille rencontre. Je souhaite beaucoup qu’une pareille activité se développe. Espérons que cette manifestation en constitue le premier jalon. Nous appelons de nos vœux les échanges entre les troupes françaises et russes. Je vis moi-même entre les deux pays et c’est la raison pour laquelle j’estime que les projets culturels franco-russes sont indispensables. De par ma position, je suis un lien entre les deux cultures. Ce lien doit se développer et se renforcer.
Et si je souhaite poursuivre certains projets à Paris ? Bien sûr. Des projets dans le domaine du théâtre et de la musique. Bien entendu !
La page relative au spectacle se trouve sur le site du théâtre l’Atalante : http://www.theatre-latalante.com/cygnes-noirs
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