« Regardez vers l’avant ! »
A Paris, a eu lieu le 8ème Salon du livre russe. « L’observateur russe » s’y est rendu.
Le 8ème Salon du livre russe s’est tenu du 29 au 31 octobre au Centre de Russie pour la science et la culture (61, rue de la Boissière). Le Salon a réuni plus de 40 participants – des auteurs et éditeurs russes et français. Parmi eux, l’invité d’honneur du Salon était la maison d’édition « ART-Volkhonka ». Le Salon s’est ouvert sur la présentation de leurs albums et de leurs livres d’histoire ou d’art, adressés non seulement aux adultes mais aussi à la jeune génération.
Ce qui fait la qualité exceptionnelle de semblables événements littéraires est la mise en relation, volontaire ou involontaire d’horizons thématiques temporaires. Et dans l’actuel Salon du livre russe le slogan implicite était « Regardez vers l’avant ! ».
Pendant trois jours les visiteurs du Salon ont feuilleté les livres, principalement consacrés à une problématique historique. Parmi ceux-ci, le merveilleux album de Martine Bertho, « Serge Wolkonsky, prince de Reims » (Editions Le Pythagore, Chaumont, 2013). Ou encore, le livre de Caroline Charron, « Fabergé, de la cour du tsar à l’exil ». Et sur le changement d’époque l’almanach littéraire parisien « Glagol », présenté au Centre le 30 octobre par l’éditeur Vladimir Sergueïev.
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« … L’histoire est terminée. Terminée est l’idéologie. Et maintenant il nous reste simplement à nous poser la question : Qui sommes-nous ? » Ainsi commença le discours de l’invité d’honneur du Salon, Robert Enguibarian, un descendant de rapatriés américains, actuellement directeur de l’institut d’Etat des relations internationales de Moscou (MGIMO). Au cours de l’histoire de la littérature, les diplomates ont plus d’une fois essayé la plume avec des lettres élégantes. Voilà donc aujourd’hui, dans le sillage de Tiouttchev et Beaumarchais, un éminent auteur de 150 ouvrages au sujet de l’histoire s’est abaissé à l’humble prose !
La troisième et dernière journée du Salon était presqu’exclusivement consacrée au 130ème anniversaire de la disparition de Marie Bashkirtseff (1858—1884). « Une étoile vite éteinte » comme l’appelle, dans son livre l’initiatrice du colloque Tatiana Schvets, fondatrice du « Fond Russe au renouvellement de la mémoire de Marie Bashkirtseff ».
…Dans le programme modeste, il y a cette jeune femme avec une bouche enfantine gonflée et un regard enflammé sous une masse de boucles blondes, Marie Bashkirtseff, qui depuis le berceau avait reçu des dieux de nombreux dons. Riche, noble, aimée de tous, elle était chanteuse, poète, une peintre brillante, dont l’œuvre a fasciné Sourikov et Levitan.
Cette « Destinée » avec une majuscule a laissé ses spirales farfelues, son empreinte propre dans la conscience collective. Pour la France, Marie Bashkirtseff (1858—1884) est une partie importante du patrimoine culturel du pays. En effet, cette native de Poltavchtchina a passé la plus grande partie de sa vie dans la patrie de sa grand-mère, à Paris où elle a acquis la célébrité de son vivant et une gloire posthume, qu’elle avait si ardemment cherchée.
« Elle est une légende. N’importe quel français plus ou moins cultivé connait le nom de Marie Bashkirtseff » prononça à l’ouverture du colloque le directeur général de la Bibliothèque nationale de France, Bruno Racine. « L’événement actuel ne peut me laisser personnellement indifférent – ajoute-t-il – le frère de Bashkirtseff est mon ancêtre. » Au colloque, le chef de la Bibliothèque nationale a apporté deux reliques – deux cahiers du célèbre Journal, récemment acquis par la Bibliothèque nationale pour le département des manuscrits. Les invités du colloque presqu’en larmes s’avançaient difficilement, comme devant un cercueil en verre, face à ces cahiers, les derniers de la vie de l’artiste.
Son « chemin au sommet de l’art » était « incroyablement difficile ». Car le destin enleva à Marie ses dons l’un après l’autre. Une phtisie progressive lui rafla la voix précipitamment (alors que Marie rêvait de faire une carrière de diva d’opéra). Ensuite la maladie lui ôta le pinceau des mains. Il n’y avait qu’une seule chose que le destin n’a pas pu lui prendre – son œuvre confessionnelle. Marie Bashkirtseff entra dans la postérité grâce à son « Journal ». Elle a transcrit en français, jour après jour, d’heure en heure, l’intégralité de la seconde moitié de sa courte vie, remplissant son journal d’écrits, parfois très excentriques, pages après pages sur environ plus de deux milles ! Ce « Journal », adapté pour l’édition en 1893 par des parents, est considéré comme un classique mondial. Il compte parmi les lectures obligatoires des étudiants philologues de France.
Marie Bashkirtseff est devenue la première femme-peintre russe, dont les œuvres ont été acquises par le Louvre. À Nice, où l’artiste était en visite pendant une longue période, on a baptisé une rue à son nom. Là-bas, dans l’hôtel de Lev Viktorovicth Kotchoubeï (1810—1890), où depuis 1925 se trouve le Musée des beaux-arts, on a conservé neufs tableaux et dessins de Marie Bashkirtseff. Depuis 1988, chaque année, le meilleur jeune peintre de France se voit décerné un prix à son nom. Mais voilà le paradoxe : cette jeune femme munie de grands talents, dont les œuvres ont chamboulé la France, la Grèce, les Etats-Unis, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, la Tchéquie, fut à l’époque soviétique presque complètement oubliée dans sa patrie. Seulement en 1991, au sommet de la perestroïka, sortit à Moscou une variante abrégée de son « Journal ». Mais ce n’est que maintenant que ses compatriotes, avec effarement et hébétement, commencent à jeter un œil sur sa vie et son destin. La preuve en est la traduction russe de l’essai biographique de Colette Cosnier « Marie Bashkirtseff », mais aussi l’album russe « l’Élue du destin, Marie Bashkirtseff ».
Au colloque, on a mentionné le fait que les œuvres complètes de Guy de Maupassant ont conservé la correspondance du grand écrivain avec Marie Bashkirtseff. Cette correspondance s’est prolongée jusqu’au printemps 1884. Mais six mois plus tard, Marie Bashkirtseff, la peintre géniale de 25 ans, ayant inspiré Marina Tsvetaïeva et Greta Garbo, décéda.
« C’était la seule Rose de ma vie, dont j’avais parsemé le chemin de roses, sachant qu’il serait si éclatant et si bref ! » — prononça Maupassant, en visitant son mausolée, couronné de la croix orthodoxe.
« L’amour des cimetières est un trait très russe » — écrit ironiquement Ivan Bounine. Le matin du 31 octobre au cimetière de Passy, près de la Tour Eiffel eut lieu un service commémoratif. Les adorateurs et amis de Bashkirtseff se réunirent devant l’entrée de la chapelle-mausolée, dressée par Emile Bastien-Lepage sur le lieu de repos de « la victime du sort, l’élue du destin ».
Dans son mausolée au cimetière de Passy, comme dans un tombeau égyptien, se trouve tout ce qui a entouré la défunte de son vivant et pourrait être utile au royaume des morts. Au travers d’épaisses vitres blafardes enchâssées dans des châssis en cuivre patiné, il est possible, avec de la chance, d’apercevoir sa table, des fleurs séchées dans un vase, des bustes, un grand tableau inachevé, un fauteuil rayé, une applique sur les murs. Hélas ! Ce lieu du dernier repos n’a rien de vivant (pardonnez-moi le jeu de mots !) Ce tableau a suscité une vive inquiétude chez la directrice de l’assemblée du Fond Russe Bashkirtseff, Tatiana Schvets :
« La terre sous le tombeau a été achetée par la mère de Bashkirtseff et payée pour 50 ans. Quand il fallut à nouveau payer, il n’y avait pas d’argent et les héritiers ont vendu le terrain et la chapelle à un américain. L’américain est mort, sans laisser d’héritiers, mais l’actuel prétendant français à la succession, un arrière-neveu de Philippe Karl Bashkirtseff, ne peut prouver son droit à la succession (…) Aujourd’hui, quand nous créons un musée en Russie, il nous est très difficile de trouver des affaires ayant appartenu à Marie. Alors qu’ici beaucoup d’entre elles sont rassemblées, mais il n’est pas possible de les sauvegarder, parce que tout se trouve dans la chapelle humide. J’ai peur que quand dans quelques années, nous obtiendrons l’autorisation pour la restauration et la conservation de ces affaires, il sera trop tard : nous les effleurerons et tout s’effritera. », — craint la directrice du Fond.
Je ne voudrais pas finir sur une note triste notre récit. N’est-il pas mieux de l’achever avec les lignes de Marina Tsvetaïeva, par lesquelles le colloque a été inauguré :
Sur la ville venait la fumée du soir, Quelque part au loin les wagons roulaient résignés, Soudain scintilla, telle une anémone translucide, Dans l’une des fenêtres un visage à demi-enfantin. Cette jeune fille près d’une fenêtre sombre, Vision du paradis dans la cohue d’une station, Je ne l’ai jamais croisée dans les vallées du sommeil. Mais pourquoi était-elle triste ? Que cherchait la silhouette limpide ? Peut-être, elle – n’y a-t-il pas de bonheur au ciel ?
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