Les tribulations des Français à Perm
Le VII Festival Diaghilev s'est déroulé à Perm.
« Perm/Péterbourg/Paris/, la route des 3 P », comme l'avait appelé son père-fondateur, l'académicien S.V Golynets, en 1987, en pleine péréstroïka triomphante.
L'auteur de ces lignes vient d'accomplir le périple dans l'autre sens.
De Perm aux confins...
Jamais je ne m'étais avancée si loin vers l'Est...Et cheminant vers l'Oural, j'imaginais le déplacement de la célébrité locale (1).
Au programme du Festival, les partitions évoquant « la petite patrie » sont restées, mais large place est faite surtout à de tonitruantes premières ultra contemporaines.
Aussi, durant le Festival, la terre natale du magnifique dilettante devient le Salzbourg russe ou son Bayreuth, accueillent une élite artistique cosmopolite, parmi laquelle un « commando » français.
Dans la salle d'honneur du lycée Diaghilev, sous l'ombre tutélaire de bronze en haut de forme (œuvre de E. Neizvestnyi), il y eut les discours de R.Guerra de Nice, M.Meilakh de Strasbourg, de K.Sapguir, et V.Giroud de Paris.
« Ne pas rendre hommage à un défunt, mais agir comme s'il était vivant, assis au 5ème rang, jugeant le talent et le radicalisme des metteurs en scène », telle était la profession de foi de Teodor Courrentzis, chef d'orchestre (Grèce) qui dirige depuis 2011 l'opéra de Perm.
Les trois « clous » du programme
Donner dans le détail le programme, c'est comme vouloir remplir l'océan avec un verre. C'est pourquoi, le cœur serré, j'ai pris le « choc ». Donc, en ouverture, un triptyque en l'honneur de G. Balanchine, sur une musique d'Igor Stravinski.
Le génial chorégraphe fut longtemps Guéorgui Balantchivadzé, jusqu'à ce que Diaghilev, pour l'Europe, le rebaptise Georges Balanchine.
Dans son répertoire, l'opéra de Perm a 3 ballets restaurés de Balanchine. Le premier, Apollon, est resté dans la mise en scène de Diaghilev. Dans la seconde partie (Rubis, 1967) Balanchine a rendu hommage au music-hall américain. La troisième partie, Symphonie en trois mouvements, est donnée dans une chorégraphie toute balanchinienne, mais avec un vigueur enthousiaste, loin de tout respect paralysant!
C'est comme ça que la critique a nommé l' « opéra-performance » de Dmitri Kourliandski, dont la première mondiale s'est tenue lors de ce festival .
Selon son projet, il s'agit d'un opéra « de la bouche ouverte ». Soit une œuvre d'avant la musique: ici pas d'instruments, pas de chœur. Il s'agit de mesurer la respiration humaine, en utilisant des moyens musicaux, orchestre symphonique, voix, solistes...
Cette respiration peut être régulière, apaisée, sifflante, maladive...Les musiciens sont installés dans les loges, et non dans la fosse...Ils bloquent les cordes des violons avec des pinces, font grincer des charnières non huilées, grattent des ballons en plastique.
Et lors des noces- funérailles rituelles du vampire Nosfératu avec la déesse du monde souterrain, Perséphone, les chœurs sont dans les balcons, et chantent des versets en latin... C'est fun!
« Mon Nosfératu est inspiré de Franfenstein » déclare D. Kourliandski, qui a tout mis dans son spectacle, y compris une évocation du triomphe-échec, fiasco de la première du Sacre du printemps à Paris.
Hommes-pantins, danseurs-Paillasses
« En vérité, Perm continue le mythe Diaghilev de l'art, loin de toute idée « d'exportation de l'art russe », — considèreTéodor Currentzis.
« Des artistes viennent de 20 pays différents, pour retrouver ici l'authenticité de la culture. Hélas, en Europe, elle disparaît inexorablement.»
La production de la troupe «Le Poème Harmonique » de Rouen démontra en effet le caractère très élitiste du festival. Le Poème Harmonique a été créé en 1998 par Vincent Dumestre, grand connaisseur de musique baroque, avec le soutien du département de la culture de Haute Normandie. Dans son « Carnaval Baroque », sur une musique étrange, vague parodie des madrigaux du XVII siècle, Paillasses, Colombines et Arlequins ont sauté, chanté, voltigé, flotté en lévitation, effectué salto et glissades insensés sur la scène de l'opéra, éclairée de pâles reflets « florentins ».
Ce séduisant Carnaval Baroque se révèle être la rencontre sur scène de foire de ballet, clownade, cirque, de spectacle de marionnettes, dans la tradition antique.
Car il reproduit avec virtuosité le ballet de la Commedia del Arte, où l'antique divinité Enthousiasme dirige le bal!
Le prix Serge Diaghilev
Jusqu'à la dernière minute le festival Diaghilev aura brillé de tous ses feux: perfection quasi céleste du show «Gala Clarinette», des pianistes virtuoses Alékséï Lioubimov, Polina Ossétenski, Anton Batagov dans la grande salle de l'orgue.
C'est dans cette salle que fut proclamé le nom du vainqueur du prix Diaghilev pour « le projet le plus radical dans le domaine des arts du spectacle vivant». Il fut attribué au belge Gérard Mortier, un réformateur qui, pendant 30 ans, a secoué l'art lyrique, dans des lieux prestigieux comme l'Opéra de Paris. Gérard Mortier n'est plus. Il nous a quittés en mars de cette année, et le jury international a décidé d'envoyer le prix (50,000 euros) pour permettre l'édition de son livre fondamental « Dramaturgie d'une seule passion ».
****
En conclusion, j'interroge Serguéï Vassilévitch Golinets, membre de l'Académie russe des arts:
Quelles impressions vous laisse la VIIIème édition du Festival Diaghilev ?
« Le passage de lectures (1987) à l'actuel festival des arts reproduit l'itinéraire de Diaghilev lui-même. N'a-t-il pas commencé avec des articles critiques et des expositions. Ce n'est qu'après qu'il a inauguré « les saisons russe » qui ont ébranlé le monde entier. Et le festival de Perm, comme les novations extraordinaires de Diaghilev, permettent de s'abstraire du quotidien et du périssable pour se plonger un moment dans l'essentiel: le sens d'une vie consacrée à l'art
(1) Diaghilev est né à Nijni-Novgorod, mais la famille Diaghilev est originaire de Perm où se trouve la maison natale. Le lycée de Perm porte son nom.
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Ох уж эта Сапгир! Всегда найдет, чем удивить! И, глядя н бронзового гиганта в Дягмлевской гимназии, вспоминаешь,, что в Париже, в фойе Театра Шатле стоит всего-то жалкий бюстик зачинателя Русских балетов!