Joueur
Sur la mort d’Oskar Rabin.
Le sang froid bouillonnait chez lui.
Dans une réalité alternative, je vois Oscar Rabin en Joueur au Casino du Destin. Là-bas, sous un tapis vert — le front protubérant de l’ange et les moustaches finement taillées.
Il sourit, les incisives mordant la lèvre inférieure. Des lunettes à monture d’or posées sur un nez mince et blanc à l’extrémité légèrement allongée. Sous les lunettes, un regard glacé, sous l’écharde rouquine — un rictus ironique. Des mains blanches et osseuses, des boutons de manchette en or —le froid bleu du brillant à carats— le rouge et noir du dessus des cartes.
Si je suis digne un jour d’écrire l’existence d’Oscar Rabin, je commencerai mon récit par ces mots : « L’avion atterrit sur l’aéroport Charles de Gaulle… »
Et ce ne fut point le vent de l’émigration qui emporta Rabin. Il s’était lancé dans un Jeu avec les Dirigeants. Il avait décidé de contraindre les Dirigeants à reconnaître le droit pour lui-même et d’autres créateurs authentiquement libres à voyager librement.
Les créateurs libres n’étaient pas des dissidents — ils étaient au-dessus de ces vanités. Ils étaient libres, tout simplement, ce qui effrayait particulièrement les Dirigeants. En effet, là où ils se trouvaient, les autres brillaient par leur absence. L’essence explosive de la résistance culturelle.
…Et le Joueur emporta la partie. Peu de temps après le happening de l’exposition bulldozer dans un terrain vague de Bieliaevo, un billet aller-retour pour Paris tomba dans la poche d’Oscar.
Il atterrit dans la capitale des arts, notre souriante ville d’argent terni avec ses tours bleues et ses toits qui s’égouttent lentement. Oscar Rabin me raconta qu’en rêve il courait sur ces toits, se sauvant des foudres des Dirigeants — Il sentait au fond de son cœur que la partie n’était pas terminée — que les Dirigeants pouvaient prendre leur revanche.
Et en effet les Dirigeants reprirent la main, introduisant une carte biseautée en cours de jeu. Au moment où Rabin s’apprêtait à rentrer, les autorités soviétiques le privèrent de son passeport N°1, le passeport intérieur de citoyen.
C’est ainsi que l’artiste resta pour toujours dans la ville où il était arrivé avec un billet aller-retour. À partir de ce moment et jusqu’à sa mort il peignit du matin au soir des toits gris tendre, sur laquelle luit une lune poreuse de Lianozovo, un hareng étalé sur le journal Le Monde, une vieille poupée saoule sur fond d’Arc de Triomphe — et un passeport où le mot CITOYENNETÉ est barré d’une croix.
Rabin Oscar —
Expressionisme crôa-croâ !
L’incantation gutturale de Henri Sapguir retentit à mes oreilles à l’idée de la mort — non pas d’un ami, je ne dirai pas ça — mais d’un des hommes du mycélium.
« Le mycélium »
Il n’est pas donné au philistin de comprendre ce qui nous unit. Ce ni l’est l’amitié, ni la parenté — juste le mycélium. Chacun d’entre nous sait qu’il en existe un autre près de lui et nous sommes liés les uns aux autres. Ces liens s’étirent sous le tapis de mousse forestier, souterrain et obscur — il n’est pas obligatoire de se fréquenter en permanence.
Et si la mort arrache quelqu’un au mycélium — celui-ci tremble tout entier.
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Лена, это твой текст?
Tot в начале публикации стоит фамилия автора — К.Сапгир.