Fin septembre, dans les salles françaises, est sorti le film du jeune réalisateur russe Ivan Tverdovsky, «Classe à part». Récompensé par de nombreux festivals internationaux, ce film avait déjà provoqué une intense polémique dans la société russe. Il est basé sur l’histoire tragique d’un premier amour entre deux élèves d’une « classe spéciale » : Lena, clouée à son fauteuil roulant et Anton, souffrant d’épilepsie. Tous deux rêvent de passer la commission qui leur permettrait d’étudier dans une classe « normale » et d’avoir l’espoir d’un avenir meilleur.

Ce cinéma, tragique et touchant, qui aborde le thème crucial de l’isolement des handicapés dans la Russie contemporaine, pose également des questions plus générales, comme celle de la norme. Souvent montrés dans le film, les adultes « normaux » — parents et professeurs – ont des réactions tellement inappropriées, mais que l’on rencontre si souvent, que l’on se met à penser sans le vouloir que c’est le pays tout entier qui aurait besoin d’aller en « classe spéciale », et qu’il ne passerait sûrement pas la commission.
Le film n’est pas passé non plus inaperçu dans la presse française. Le Figaro a notamment souligné le travail des jeunes acteurs, élèves de la master-class de Kirill Serebrennikov : Nikita Kukushkin, Macha Poezhaeva et Philipp Avdeev.
L’Express a justement caractérisé le film d’« intelligemment dérangeant » (c’est-à-dire qu’il « accroche intelligemment » le spectateur) et a souligné la passion du jeune réalisateur pour les films de Lars Von Trier. A la fois film documentaire et de fiction dans la réalisation, cette œuvre n’a pas échappé à l’attention des critiques.
En effet, « Classe à part » n’est pas seulement le premier long métrage d’Ivan Tverdovsky, mais c’est aussi sa première œuvre de fiction. De par sa formation et sa vision des processus de tournage et de leur résultat final, Tverdovsky est bien documentariste. D’où une caméra légèrement tremblante et l’impression pour le spectateur de participer directement aux événements. De là sa manière de travailler avec les acteurs, excluant la mémorisation des textes et même toute écriture préalable des rôles.
Le Point a qualifié ce film de « claque à la russe », soulignant le réalisme exceptionnel des scènes. Télérama parle également de la vivacité particulière des événements représentés dans le film.
Les fiches du cinéma ont comparé le film à un puissant coup de poing.

Cependant, Tverdovsky lui-même, dans ses nombreuses interviews, déclare que le réalisme de son film est relatif, qu’il n’a pas tant été animé par le désir de montrer la cruauté du monde, à laquelle les héros de son film, isolés contre leur volonté, vont être obligés de se heurter, que par celui de nous rappeler que dans la vie, les miracles peuvent toujours arriver. C’est précisément par cette volonté que le réalisateur explique la dernière et réellement surprenante scène du film : la jeune fille, humiliée et blessée, clouée à son fauteuil depuis de longues années, se lève soudainement sous les yeux de sa mère et s’en va.
Cineuropa note l’importance sociale des thèmes abordés dans le film, mais n’omet pas d’ajouter une légère critique : le film semble inégal dans sa structure et dans sa forme. C’est un reproche déjà adressé auparavant au jeune réalisateur et à ses producteurs : certaines scènes du film paraissent illogiques, mal étayées et le spectateur a du mal à comprendre les raisons du comportement de certains personnages. Les critiques semblent persuadés que le film, conçu pour être primé des festivals de cinéma, a peu de chances d’être diffusé à la télévision en Europe de l’Est et en Russie. Un tel pessimisme ne peut probablement s’expliquer que par la méconnaissance du travail de Valeria Gaï Germanica , qui a sans doute aucun influencé l’œuvre de Tverdovsky.
D’une manière générale, le nombre impressionnant de récompenses recueillies par le film et l’intérêt qu’il suscite chez les critiques, à défaut d’être un gage absolu de qualité, est clairement une autre raison de voir le film. Car il ne parle pas seulement d’enfants handicapés, mais d’amour et de sacrifice de soi, de naïveté et de cruauté, d’espoir et de désespoir. Par moments, le réalisateur oblige son spectateur à se torturer avec des questions du type : Est-ce un jeu ou est-ce vraiment la vie ? Et, en équilibre sur le fil ténu de la banalité, je dirai tout de même que n’importe quel jeu renferme la vie, bien plus que l’on a l’habitude de le penser.