S’oublier dans le monde de Watteau et de Fragonard
Quand la réalité ambiante devient insupportable, c’est le moment idéal pour se plonger dans le monde du beau. C’est une possibilité pour les Parisiens : accessible à pieds. Pour les autres, c’est un peu plus loin mais tout à fait praticable.
Le monde des fêtes galantes, à la mode au XVIIIème siècle, a occupé l’aile de l’élégant hôtel particulier pendant six mois en s’installant dans le musée parisien Jacquemart-André.
Une autre époque, éloignée et tout à fait irréelle au sens propre du terme, vit dans ces anciennes salles. Parce que même dans le plus recherché des siècles (le style rococo), les peintres ne réussissent pas à refléter la nature d’une manière certaine (c’est en tout cas ce que les curateurs de l’exposition affirment).
C’est pourquoi, notamment, les scènes de passe-temps joyeux, imaginaires et inventées, qui n’existent pas en réalité, sont reproduites sur de grandes toiles : de Watteau à Fragonard.
Antoine Watteau est devenu le créateur d’un nouveau genre dans la peinture, avec ses « fêtes galantes » qui n’ont pu choisir aucun « -isme » sérieux, et c’est pourquoi elles ont gardé leur nom, tel un courant isolé. Le peintre lui-même est devenu membre de l’Académie, et après de longues délibérations, on l’a inscrit maître de l’imagerie de ces scènes de genre (il est vrai qu’il y a des renseignements opposés mais on l’a tout de même nommé académicien de la peinture historique).
Quoi qu’il en soit, Watteau est devenu fondateur de ce courant pour une raison simple : dans tous les autres genres existaient des canons rigides, et il voulait expérimenter sans retenue. Et dans un tout nouveau genre, une telle anarchie était admise. Voilà la réponse.
Antoine Watteau voulait une liberté dans sa peinture, mais pas d’un manque de professionnalisme (c’était déjà la marque de notre temps) mais de surabondance. Saisissant dessinateur et accro au travail, il a laissé mille esquisses magnifiques, reliées dans de grands cahiers. Et déjà de son vivant, les possibilités coloristes de sa palette étaient considérées comme illimitées. Il tirait de ses reliures volumineuses des esquisses, les arrangeait et les insérait par ordre de naissance dans son imaginaire. C’est pourquoi la sculpture de Versailles se sentait très bien sur sa toile, au milieu du paysage romain. Mais qui lui aurait permis ça plus tôt ? Dans le cadre de ce nouveau courant, tout était possible.
De plus, Watteau pouvait placer au centre d’une telle composition une célèbre étoile de ballet, image vive et reconnue, comme si aujourd’hui Catherine Deneuve, dirons-nous, se pavanait sur une toile.
Le tableau de Watteau était formé par des « collages », en faite pas collés, mais peints. De ces morceaux de réel est né par ces temps un sujet presque surréaliste. C’est une rupture certaine dans l’art. Et on peut presque appeler l’idée même du tableau de Watteau abstraite, car elle n’exigeait aucun plan précis, excepté de refléter quelque chose d’éphémère et d’imperceptible, de transmettre une atmosphère de légèreté et d’insouciance.
Il est intéressant de voir que dans les collections royales, des travaux d’une telle génération ne se rencontraient pas, les canons de la peinture historique ou des motifs purement décoratifs y régnaient. Et les fêtes galantes — des rencontres romantiques, des piqueniques, des ripailles de chasse — toute cette légèreté se tassait dans les collections des grands seigneurs riches ou des favorites du roi, et plus tard dans les couches les plus élevées de la bourgeoisie.
Le disciple de Watteau, François Boucher, a ajouté à ces innocentes plaisanteries une bonne part d’érotisme. Dans ses toiles se rencontrent des beautés semi-nues, qui se baignent dans des bassins ou se livrent aux plaisirs de l’amour avec de beaux cavaliers. De telles commandes étaient déjà suspendues dans les chambres à coucher et dans d’autres boudoirs retirés.
En ce qui concerne les rêves irréalisables et la représentation d’une société utopique, les héritiers de Watteau sont Nicolas Lancret et Jean-Honoré Fragonard. Les « fêtes galantes » sont entrées dans l’histoire comme un phénomène purement français du XVIIIème siècle. A cette époque-là, les peintres italiens ont cédé la palme à leurs frères français dans les ateliers, et Paris s’est déclaré le centre des tendances de mode.
La grande toile « la Fête à Saint-Cloud » est le dernier travail de Fragonard dans le cycle des fêtes galantes.
Au début du XIXème siècle, elle se trouvait dans l’hôtel particulier qui est devenu la Banque de France (en s’élargissant, la banque a racheté l’hôtel particulier voisin). Elle se trouve encore là à notre époque, quittant rarement ce territoire protégé des yeux des étrangers. Le tableau est suspendu dans le salon Fragonard, qui est confinée au bureau du directeur de la principale banque du pays. Voir « Fête à Saint-Cloud » de ses propres yeux est une chance rare.
Si les rois français n’admettaient pas de souffles libres dans leurs galeries de peintures, même dans une situation informelle avec des hommes politiques et des hommes d’Etat, les choses se passaient différemment dans les autres monarchies européennes. Et la Russie ne faisait pas exception. On a amené à l’exposition de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg la « Lecture espagnole » de Carle Van Loo. C’est la Grande Catherine qui avait acquis cette toile à son époque, avec Diderot. Beaucoup ont écrit dans les journaux de l’époque que cet achat était le plus cher de toute l’histoire du XVIIIème siècle.
« De Watteau à Fragonard. Les fêtes galantes » au musée Jacquemart-André 158, boulevard Haussmann, Paris Jusqu’au 21 juillet 2014
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