Rosina Nejinskaya raconte Meudon, son monde merveilleux
Sans doute dans sa vie chacun a rencontré des gens qui ont exercé une influence positive sur ses futures formations, choix, qui l'ont aidé à se trouver et à s'engager sur le chemin qui correspondait le mieux à leur nature.
Pour moi, ce fut le Centre jésuite d'étude de langue et culture russes, ou simplement, la Maison de Saint-Georges (Foyer St Georges), à Meudon, près de Paris.
J'avais 17 ans quand je fis la connaissance de ce coin de paradis, le Centre, et de son directeur, René Marichal. Il était en même temps le prêtre en charge du monastère. Il dirigeait également la bibliothèque Gagarine de la rue d'Assas à Paris, qui appartenait aussi aux Jésuites.
Je me souviens parfaitement de ma première impression devant tant de beauté et d'harmonie. Ce lieu s'appelait autrefois « le potager du Dauphin », car il était dédié au prince, fils du Roi. En effet, non loin de là se trouvait un palais royal qui brûla pendant la Révolution Française. En fait de potager, il s'agissait d'un parc à l'anglaise, impeccable. En son centre il y avait un élégant hôtel particulier. Près du portail d'entrée, qui donnait sur la rue Porto Riche les pères avaient construit une petite église de style russe, car bien que catholiques, ils se vouaient aux rites byzantins, très proches dans ses formes du rite orthodoxe.

Марина Влади, ее первое выступление состоялось на сцене дома Св.Георгия, где преподавала ее мать. ©Boris Guessel.
Entré dans l'hôtel particulier, le visiteur tombait sur un vestibule grandiose, hauts plafonds. Les portes ouvertes laissaient voir une salle à manger somptueuse qui paraissait beaucoup plus grande qu'en vérité à cause d'immenses miroirs, de hauts plafonds et de vastes fenêtres, du sol au plafond, donnant sur le parc ; de là, se donnaient à la vue la pièce d'eau centrale, qui réjouissait les yeux, et le mur entourant le parc caché du regard des curieux par un rideau de verdure.
Pendant les sept années que je passai chez les pères, cette salle à manger fut le lieu où je m'ouvris à la richesse de la vie intellectuelle, où je rencontrai bon nombre de cultures du monde.
Dédié à la langue et la culture russes, le Centre accueillait des étudiants de tous les pays d'Europe, d'Amérique, du Canada ; des étudiants parisiens venaient y préparer les concours, Capes, Agrégation, pour devenir professeurs de russe dans l'enseignement secondaire ou supérieur. Venaient aussi ceux qui préparaient les concours aux prestigieuse grandes écoles, École Normale Supérieure, ENA, Polytechnique et souhaitaient faire de la langue russe leur première langue étrangère aux concours.
Venaient aussi se perfectionner dans la maîtrise de la langue russe et la connaissance de la culture des étudiants des universités anglaises, et d'autres pays européens. Ils y étaient pensionnaires.
Tous les pères du Foyer parlaient russe. J'éprouve en particulier un sentiment d'amitié chaleureuse pour le père René Marichal, qui me prit sous son aile.
Il était également un traducteur remarquable, un des premiers traducteurs en russe de Soljenitsyne, avait fondé la revue « Symbole ». C'était aussi un excellent cuisinier, car les pères préparaient eux-mêmes leurs repas le dimanche, jour de repos de leur cuisinière.
Il y avait aussi le père Igor Sterpen, peintre d'icônes allemand, qui avait peint les fresques dans l'église et avait créé un atelier de peinture d'icônes. C'était un homme au charme immense, il attirait les femmes qui percevaient sa douceur, sa compréhension. Elles s'enthousiasmaient pour son talent.
Parmi ces gens remarquables et philosophes qui vivaient au Centre, il y avait le père François Roulet. Les cours d'hiver étaient dirigés par un tchèque, le père Stritchek.
Malgré mon jeune âge, les pères n'hésitaient pas à me confier les cours de russe à leurs étudiants. J'étais trop jeune pour apprécier à sa juste valeur le cadeau du destin que cela représentait. J'enseignais avec bonheur à ces étudiants, souvent plus âgés, plus expérimentés, plus engagés dans la vie que moi. J'enseignais cette langue dont les circonstances avaient fait ma langue maternelle. J'en maîtrisais parfaitement la grammaire que je sentais.
Mais quand je fus admise à la faculté de médecine, lors de ma deuxième année à Meudon, les pères me libérèrent de l'enseignement. J'avais pour tâche de parler russe pendant les repas au réfectoire, et je m'en acquittais avec succès et satisfaction.
L'été, les pères organisaient des cours intensifs dans leur maison de montagne, près d'Evian, Ces cours étaient ouverts à tous, spécialistes ou amateurs, qui souhaitaient enrichir leur langue russe. Là, ce n'était pas des étudiants, mais des lycéens venant de tous les pays. Je me souviens en particulier des étudiants de l'école royale d'Eton.
Arrivés en France, ils reprenaient vie, semblaient vouloir profiter de tout ce que la France pouvait leur offrir. Il y avait des français qui quittaient pour la première fois le nid familial, des allemands. Qui n'y avait-il pas !
Mon rôle consistait en l'apprentissage de la langue à travers le théâtre.
Je montais des petites pièces que les étudiants donnaient en public tous les trois jours. J'aimais ce travail passionnément et quand le destin m'envoya de l'autre côté de l'océan pour exercer une activité toute autre, j'en éprouvais une grande nostalgie.
Ces cours étaient dirigés par le père Andréï Sterpine, une personnalité remarquable. Il était fils d'un diplomate belge et d'une aristocrate russe. Il était né à Shanghai, en Chine et l'anglais fut sa première langue. Mais très vite il l'abandonna et ne s'exprima plus qu'en russe et en français. Son aspect, son style, sa façon de parler et de se tenir, tout révélait en lui l'homme russe. Il parlait un russe sans équivalent, riche, pur, élégant. Mais il avait du tempérament et son attitude dépendait beaucoup de son humeur ; ses émotions se lisaient sur son visage et sa façon de parler. Il m'aimait bien et je travaillais six ans sous sa direction.
Pendant ces six années, j'ai eu le temps de finir deux facultés. Mais, si je ne garde aucun souvenir de l'université, le monde de Meudon est toujours très présent dans ma mémoire, comme si rien ne s'était passé depuis.
Le Centre accueillait également quelques personnalités russes remarquables. Certains d'entre eux étaient aidés par les pères pour faciliter leur intégration en France. Il y avait, par exemple Nikolaï Gogoliev, oncle Kolia, comme nous l'appelions. Il était d’une très grande érudition et complètement désargenté. Il prépara nombre d'étudiants et d’étudiantes à tous les types de concours, nous offrant quantité de ses idées originales et riches. Je dois reconnaître que je lui suis redevable pour mon premier ouvrage consacré à Zinaïda Vengerova. C'est lui qui attira mon attention, ayant gardé d'elle le souvenir de sa gloire alors qu'il était enfant. Il pensait qu'elle méritait de ne pas tomber dans l'oubli.
A l'époque de mon séjour à Meudon, les pères n'étaient déjà plus jeunes. Ils étaient inquiets du devenir du Centre et s'efforçaient de transmettre le goût de la culture russe aux jeunes jésuites.
Rosina Néjinskaya
Professeur à l'Université de l'Illinois, USA. Auteur de deux ouvrages ; Zinaîda Vengerova : à la recherche du Beau. ; Salomé, image d'une femme qui n'a jamais existé. ; trois recueils de poésie. Le dernier, « le jongleur », est sorti en 2009.
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Почему Институт Сен Жорж «сказочный мир»?! А отчего ничего не рассказано о закрытии Центра? Автор не знает об этом?
Очень своевременная статья о значении русского языка в мировой культуре. Только очень ограниченые люди не понимают что такое — ВЕЛИКИЙ И ПРЕКРАСНЫЙ , — язык Пушкина и Толстого и т.д
Спасибо, теперча будем знать, что есть такой язык
Маркиз, а стучит, при чём зря. Марина, американцы перестали финансировать некоторые организации после распада СССР.
Вот как раз о закрытии ин-тут и интересно бы что-то узнать. Не могли бы Вы рассказать, что знаете, и про маркиза стукаче тоже. Что касается самой статьи, давно не было такой беспомощной в интеллигентном Рус. Оч-е!
О закрытии Центра можно прочесть в газетах — когда Центр закрывался об этом писали в Le Monde и в других газетах — а о личном опыте, перикликающемся с деятельностью и личностями Центра часто не прочтешь. Мне было очень интересно прочитать эту статью. Интеллигентная статья, познавательная и живо, и хорошо написана.